Le port de l’angoisse
Qu’un réalisateur européen évoque le sort des migrants africains qui veulent s’installer outre-Méditerranée n’a rien d’étonnant. Mais pourquoi un cinéaste finlandais habitué à tourner dans son pays a-t-il choisi la France, et le décor plutôt morne du port du Havre ? « Vous en connaissez beaucoup, vous, des Africains assez fous pour émigrer en Finlande ? » La réponse d’Aki Kaurismäki est bien dans la veine de son cinéma, inattendu et décalé, réaliste et au second degré.
À première vue, Le Havre a les allures d’un beau récit humaniste : un écrivain d’extrême gauche, qui a décidé de devenir cireur de chaussures pour se rapprocher du peuple, se trouve par hasard en mesure de porter secours à un jeune Africain arrivé avec sa famille caché dans un conteneur et qui seul a réussi à échapper à la police. Mais grâce au talent narratif de Kaurismäki, ce film, auquel Cannes a fait un triomphe, ne ressemble à aucun autre sur ce thème et s’apparente à un conte de fées à la fois moderne et rétro. Penchant selon les moments vers Chaplin, Tati ou Carné pour évoquer une situation hélas tragique et bien contemporaine, il en fait plus, avec sa légèreté et son humour, que tous les pensums bien-pensants pour dénoncer la politique de rejet des immigrés.
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