Mali : un million d’hectares toujours en friche

Faute d’investissements suffisants, moins de 10 % des terres gérées par l’Office du Niger, plus grand projet d’aménagement hydroagricole de toute l’Afrique de l’Ouest, sont exploités. Pour développer la zone, Bamako tente, tant bien que mal, de faire appel aux capitaux privés.

En 2010, 600 000 tonnes de riz ont été produites dans la zone. © Emmanuel Daou Bakary pour J.A.

En 2010, 600 000 tonnes de riz ont été produites dans la zone. © Emmanuel Daou Bakary pour J.A.

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 25 mai 2011 Lecture : 5 minutes.

Pas moins de 40 °C à l’ombre. Dans la région de Ségou (centre du Mali), en ce mois d’avril, les champs qui s’étendent à perte de vue dans le delta du Niger sont presque déserts, saison sèche oblige. Seuls quelques agriculteurs cultivant en contre-saison entretiennent leurs rizières. À défaut d’avoir une plus grande exploitation, ils recourent à cette pratique pour compléter leur production annuelle. Amadou fait partie de ceux-là. Sa famille n’a eu accès qu’à 0,5 ha de terres. « Nous avons fait une demande pour avoir une plus grande exploitation, mais nous n’avons pour l’heure pas reçu de réponse », explique-t-il en bambara.

Plus de 1 000 familles de la région seraient dans la même situation. Et pourtant, c’est ici que l’Office du Niger, établissement public à caractère industriel et commercial, gère une immense zone dont le potentiel de terres irrigables est estimé à plus de 1 million d’hectares. Soit le tiers de la surface cultivable du pays. Créé en 1932 par la France coloniale, l’Office demeure le plus grand projet d’aménagement hydroagricole de toute l’Afrique de l’Ouest. Il visait, à sa création, à fournir en matière première l’industrie textile de la métropole, grâce à l’aménagement de 510 000 ha de culture de coton, et à produire du riz sur 450 000 ha pour les besoins alimentaires.

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Quatre-vingts ans plus tard, à peine 10 % de ce projet a été réalisé. Avant son départ, le colon français avait aménagé quelque 43 000 ha de terres. Et le Mali, depuis son indépendance, a aménagé un peu plus de 55 000 ha. En tout, ce sont donc quelque 98 000 ha, exploités par 35 000 agriculteurs, qui sont irrigués… mais qui peinent à satisfaire les besoins des paysans locaux. Selon Abdoulaye Daou, délégué général des producteurs de l’Office du Niger, « la pression foncière n’a jamais été aussi forte, en raison d’une demande sans cesse croissante ».

Une priorité pour ATT

Le président Amadou Toumani Touré (ATT), dont le dernier mandat arrive à terme en 2012, a placé l’Office du Niger et le développement de cette zone parmi ses priorités, avec pour ambition de faire du Mali le grenier de la sous-région. Mais la situation n’a guère évolué. Mis à part pour le riz – l’Office couvre 60 % de la consommation du pays –, l’institution affiche un maigre bilan. La raison ? « L’aménagement de 1 ha de terre coûte jusqu’à 4 millions de F CFA [6 100 euros, NDLR] », explique-t-on à la direction de l’Office du Niger. Soit, en théorie, un investissement colossal de 6 milliards d’euros pour le million d’hectares disponibles ! Autrement dit, aménager suffisamment de terres pour satisfaire les besoins des cultivateurs et du pays représenterait pour l’État de lourdes dépenses qui siphonneraient son budget. Déjà que l’entretien du système d’irrigation s’élève, en moyenne, à 3 millions d’euros par an !

L’Office ne peut mobiliser des fonds de cette ampleur. Le budget que lui a alloué l’État en 2011 s’élève à 19 milliards de F CFA (29 millions d’euros). En outre, pendant de nombreuses années, l’organisme n’a pas particulièrement brillé par son mode de gouvernance. Dans son rapport publié fin 2007, Sidi Sosso Diarra, l’ancien vérificateur général du Mali, avait relevé une perte d’environ 1,5 milliard de F CFA liée aux fraudes et à la mauvaise gestion entre 2001 et 2007, sous la direction de l’ex-PDG Seydou Idrissa Traoré. Parmi les dysfonctionnements relevés par le « monsieur anticorruption », une confusion des responsabilités et des sorties d’argent non répertoriées. En outre, au titre des manques à gagner, le vérificateur général a constaté un trou de plus de 25 millions de F CFA de loyers non recouvrés. L’Union européenne, qui comme les autres bailleurs de fonds internationaux était réticente à investir dans cette zone du fait du manque de transparence, est tout de même revenue en 2010 pour financer, à hauteur de 30 millions d’euros (20 milliards de F CFA), l’aménagement de 2 500 ha qui seront confiés aux exploitants locaux.

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La donne a changé

Depuis la crise alimentaire de 2008, marquée par une hausse vertigineuse des cours des produits alimentaires de base, la donne a changé : la terre est devenue un investissement intéressant qui attire des fonds spéculatifs tels que celui du milliardaire américain George Soros, mais aussi des États soucieux de garantir leur sécurité alimentaire. Bamako, qui avait décidé en 1994 d’ouvrir l’Office du Niger aux privés, tente de surfer sur cette tendance. La Société libyenne et malienne de l’agriculture (Malibya Agriculture) constitue un des projets phares de cette nouvelle démarche. Financée par le fonds souverain Libya Africa Investment Portfolio, elle vient d’achever la construction de 40 km de canaux d’irrigation, pour 26 milliards de F CFA. La deuxième phase de ce projet, l’aménagement et l’exploitation de 100 000 ha, a été suspendue en raison de la guerre en Libye. « Le canal est prêt mais les Libyens n’ont pas encore exploité un seul hectare de terre », explique Kassoum Denon, PDG de l’Office du Niger. Outre les Libyens, les Chinois ont investi 265 milliards de F CFA dans un complexe sucrier qui s’étend sur environ 14 000 ha. Le projet devrait s’achever dans les six prochains mois avec la construction d’une usine.

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Depuis 2008, plus de 300 milliards de F CFA d’investissements privés ont ainsi été annoncés pour des projets d’exploitation dans la zone de l’Office du Niger. Les opérateurs économiques nationaux sont également engagés dans cette course, à l’instar du groupe Tomota, qui a obtenu le droit de produire, en test, des oléagineux (tournesol, arachide et coton) sur une superficie de 2 000 ha, avec la possibilité de l’étendre sur 140 000 ha. Aliou Tomota, son PDG, veut remonter la filière pour alimenter les usines de l’Huilerie cotonnière du Mali (Huicoma), qu’il a rachetées à l’État en 2005 et qu’il peine depuis à relancer, faute de matière première. Au total, l’industriel malien affirme avoir injecté quelque 15 milliards de F CFA dans l’achat de systèmes d’irrigations, de machines, de tracteurs… Autre homme d’affaires malien à investir dans la zone, Modibo Keita, patron du Grand distributeur céréalier du Mali (GDCM), exploite 7 400 ha de blé afin d’alimenter son moulin.

Si grâce à ces différents projets, quelques centaines de milliers d’hectares pourraient être aménagés d’ici à la fin du mandat d’ATT, la nature même des contrats signés fait l’objet de vives polémiques dans le pays. Oumar Mariko, le secrétaire général de Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi, opposition), dénonce le flou et le manque de communication qui entoure la signature de baux emphytéotiques (cinquante ans renouvelables), une pratique qui selon lui « revient à brader les terres sans s’assurer que la production profite au pays ». Du côté de la direction de l’Office du Niger, on se défend en citant l’exemple de Malibya Agriculture : « Les infrastructures mises en place permettront d’aménager 300 000 autres hectares qui seront redistribués aux petits exploitants. » Mais le modèle reste bien fragile.

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Stéphane Ballong, envoyé spécial à Ségou

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