Lee White : chercheur blanc, coeur vert

S’il garde son humour et son flegme tout britanniques, le secrétaire exécutif de l’Agence nationale des parcs nationaux a déjà passé la moitié de sa vie au service de la forêt tropicale.

Lee White

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Publié le 1 juin 2011 Lecture : 5 minutes.

À la poursuite du Gabon vert
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À la poursuite du Gabon vert

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De quel bois est donc fait Lee White ? Depuis qu’il a été nommé, en octobre 2009, à la tête de l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN), le chercheur associé de l’Institut de recherche en écologie tropicale (Iret) du Gabon est devenu la cible préférée d’une partie de l’establi­sh­ment. Il n’en a cure, mais sait que les vilenies dont ses détracteurs l’accablent sont légion.

On voit en lui le gourou qui a inoculé le virus de l’environnement à Bongo père et, plus tard, à son fils Ali. On lui reproche d’avoir fait de fausses promesses sur le marché du carbone et ses mécanismes compensatoires. On lui attribue une guérilla larvée contre les ministères en charge des Forêts et de l’Écologie : « Il refuse de travailler sous la tutelle de l’un de ces deux ministères », déplore un ancien cadre de l’ANPN, soulignant que, pour l’heure, l’Agence dépend de la seule présidence de la République. Érigée en querelle d’ego par les uns, cette liaison directe avec le Palais du bord de mer ne tient pour d’autres qu’au tropisme écologiste du chef de l’État.

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Initié ?

Certains reprochent à Lee White d’avoir été nommé à de hautes fonctions alors qu’« il n’est pas d’ici », la rumeur voulant aussi qu’il soit américain. Ce qui le fait rire. Britannique depuis sa naissance, il y a 45 ans, il est aussi gabonais depuis sa naturalisation, en 2008. L’une des questions qui lui est le plus souvent posée est : « Êtes-vous initié ? » (sous-entendu : aux rituels de la religion traditionnelle du Bwiti). Quand on l’interroge à ce sujet, il finit par mettre en avant, d’une pirouette, sa légitimité fondée sur vingt-cinq ans d’expérience : « Je suis initié à la forêt africaine. J’ai regardé le gorille à dos argenté dans les yeux, à 30 cm ; l’éléphant fâché à 1 m. J’ai des jumelles qui m’aident à voir de loin. Et, non, je ne suis pas initié au Bwiti. »

Le regard plein de malice, il confirme être né à Manchester, dans le nord-ouest de l’Angleterre. Il n’y a vécu que pendant trois ans. Le temps pour son scientifique de père de s’envoler pour l’Ouganda d’Idi Amin Dada, où la famille s’installe pour plusieurs années. Retour au Royaume-Uni pour l’entrée au collège, puis, en 1984, à la fin de son premier cycle à l’Université de Londres, Lee White part pour la Sierra Leone, où il prend son premier poste d’assistant de recherche, en préparant sa maîtrise en zoologie. Quelques années plus tard, il s’engage en tant que conservateur au fin fond d’une réserve du sud-ouest du Nigeria, près de Benin City. 

D’Édimbourg à la Lopé

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En janvier 1989, le jeune chercheur, qui prépare son doctorat, pose « par hasard » ses bagages au Gabon. C’est le tournant de sa vie. Jusqu’en août 1991, il étudie les effets de l’exploitation forestière sur la faune et la flore de la réserve de la Lopé-Okanga, avant de regagner l’université d’Édimbourg, où il passe sa thèse. Diplômé en 1992, il convainc l’ONG américaine Wildlife Conservation Society (WCS), qui avait financé ses travaux – et dont il sera le représentant local pendant seize ans –, de lui confier un poste de scientifique associé pour la conservation afin qu’il poursuive ses recherches à la Lopé. Cette aire protégée de quelque 5 000 km2, en plein cœur du pays, abrite une station de recherche qui suit les impacts des changements climatiques sur les écosystèmes, ainsi que la dynamique d’accumulation et de perte des stocks de carbone.

Lee White prend donc ses quartiers, avec sa femme, pour cinq ans à la Lopé. Deux de ses trois enfants vont y naître. Il n’est pas peu fier d’avoir vécu sur un site témoin des changements climatiques : « C’était un rêve de gamin. J’avais le plus beau boulot du monde. Quant à mes enfants, je les vois encore courir derrière des éléphants dans ce site vieux de plusieurs millénaires, classé au Patrimoine mondial de l’Unesco… », se remémore-t-il, ému.

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Naturalisation

En 1997, il est nommé à la direction générale de WCS Gabon et à la tête d’un programme régional (Gabon, Congo, Cameroun, RD Congo, Guinée équatoriale, Nigeria) pour les inventaires et la formation. Sa principale charge : solliciter et gérer les financements des bailleurs internationaux. Mission accomplie puisque sous sa direction, en dix ans, le Gabon est devenu le plus gros programme de WCS dans le monde, avec 150 à 200 salariés et des dotations annuelles d’environ 4 millions de dollars (2,7 millions d’euros).

Parallèlement, à partir de 2002, année de la création des parcs nationaux par Omar Bongo Ondimba, Lee White devient conseiller au cabinet de la présidence de la République sur les questions liées aux changements climatiques, aux parcs nationaux et à l’écotourisme. Il quitte d’ailleurs le WCS en 2008 afin, dit-il, de pouvoir se focaliser sur ces questions. Il acquiert la nationalité gabonaise et rejoint le cabinet de Georgette Koko, vice-Premier ministre en charge de l’Environnement, où il retrouve Étienne Massard, alors directeur général de l’Environnement, promu depuis conseiller spécial d’Ali Bongo Ondimba pour le plan climat et également président du conseil d’administration de l’ANPN.

Tout n’est pas rose pour autant dans l’univers du Dr White, qui ne décolère pas de la tournure prise par le marché du carbone. Suivant le principe prévu par le protocole de Kyoto (la possibilité offerte aux pays développés de compenser leurs émissions en finançant des réductions dans les pays en développement), avant la création des parcs nationaux et la tenue du sommet de la Terre de Johannesburg en 2002, le gouvernement gabonais avait annulé des dizaines de permis d’exploitation forestière. Un effort qui a permis de stopper 10 % des émissions de gaz carbonique que la déforestation aurait fait subir à la planète chaque année, soit 1 million de tonnes de CO2. Depuis, aucune compensation financière n’est venue. 

Désillusions

« Les pays développés font des promesses de financement qu’ils ne tiennent pas. À Oslo, en mai 2010, ils ont annoncé qu’ils allaient porter à environ 4 milliards de dollars les aides pour la lutte contre la déforestation d’ici à 2012, soit 500 millions de dollars de plus que le montant promis à Copenhague. On a même parlé d’un fonds qui irait jusqu’à 100 millions de dollars par an… Mais rien ne s’est passé. » Et le Gabon attend toujours un retour pour son action en faveur de l’équilibre de la planète. « Je pense malheureusement que cela fait partie des illusions qu’on vend à nos dirigeants », soupire Marc Ona Essangui, président de l’ONG Brainforest. Pour lui, le marché du carbone « n’est qu’un mécanisme expérimental dont aucun pays n’a encore reçu les dividendes ».

Le Dr White ne se décourage pas. S’il travaille désormais dans les bureaux climatisés de l’ANPN et part moins souvent en forêt à travers les parcs, c’est pour mieux financer leur protection… Avec un budget passé de 524 millions de F CFA en 2009 à 4 milliards de F CFA en 2011 (de 800 000 euros à 6 millions d’euros), il jouit de la confiance du pouvoir et excelle toujours à mobiliser les concours de ses partenaires, en particulier anglo-saxons. L’écogarde en chef White veille au grain. 

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