Immigration : l’Europe cadenassée ?
Face à l’afflux de clandestins tunisiens et libyens, les gouvernements français et italien tentent de remettre en question la liberté de circulation au sein de l’espace Schengen. À Bruxelles, ils se heurtent à de sérieuses résistances.
Pauvre Europe ! Elle avait déjà du mal à être assez solidaire pour porter secours à ses membres en difficulté, comme la Grèce. La voici en passe de revenir sur l’avancée majeure que représente la libre circulation des personnes à l’intérieur de ses frontières. Nicolas Sarkozy, le président français, et Silvio Berlusconi, le président du Conseil italien, entendent en effet poser un cadenas sur cet espace Schengen qui favorise l’immigration clandestine, une de leurs obsessions.
Acte I. Depuis le mois de janvier, le printemps arabe a eu pour effet de pousser de nouveau les harragas à risquer leur vie pour tenter de trouver un avenir au nord de la Méditerranée. On estime à 25 000 Tunisiens et à 8 000 Libyens le nombre de ceux qui, à bord d’embarcations de fortune, se sont échoués sur la petite île italienne de Lampedusa.
Membre de la très xénophobe Ligue du Nord, Roberto Maroni, le ministre de l’Intérieur de Berlusconi, estime qu’il faut « vider la baignoire » et juge habile de se servir de la réglementation de Schengen. Depuis 1985, les vingt-cinq États qui adhèrent à cette dernière ont supprimé les contrôles à leurs frontières intérieures et les ont reportés à leurs frontières extérieures, qu’elles soient maritimes (42 672 km) ou terrestres (8 826 km). Autrement dit, tout citoyen, mais aussi tout étranger admis par l’un de ces États peut circuler à l’intérieur de l’Union européenne sans avoir à montrer la moindre pièce d’identité.
Le ministre a donc délivré aux immigrés de Lampedusa des permis de séjour de six mois qui leur permettent de se rendre, sans aucune formalité, en France, où « 80 % d’entre eux veulent rejoindre leur famille », a déclaré Berlusconi. Traduction : bon débarras !
Acte II. Le gouvernement français pique une colère devant cet afflux d’immigrés qui commencent à camper dans certains squares parisiens. Selon lui, l’Italie n’a pas respecté les règles du jeu européen : un immigré ne peut bénéficier d’un permis de séjour que s’il est en mesure de subvenir à ses besoins (31 euros par jour s’il est logé, 62 euros s’il ne l’est pas) et s’il n’a jamais été condamné ni reconduit à la frontière.
À la mi-avril, une compagnie de CRS est dépêchée à Vintimille, à la frontière italienne, pour effectuer des contrôles d’identité. Elle a reçu l’instruction de ne pas rester plus de six heures au même endroit, afin de ne pas être en infraction avec les textes européens. Le 17 avril, le trafic ferroviaire Vintimille-Menton est interrompu pour empêcher une trentaine de Tunisiens d’entrer en France avec l’appui de deux cents manifestants français pour lesquels « aucun être humain n’est illégal ».
Sarkozy et Claude Guéant, son ministre de l’Intérieur, parlent de « suspendre Schengen provisoirement », suscitant de vives critiques à gauche. Le responsable vert Daniel Cohn-Bendit les accuse par exemple de se livrer à une entreprise de « détricotage de l’intégration européenne ».
Acte III. Sarkozy et Berlusconi sont embêtés : nombre de pays européens ne sont pas d’accord avec eux, tandis que le pape appelle à « la solidarité » avec « les réfugiés venus d’Afrique ». Mais l’un et l’autre doivent tenir compte d’une extrême droite en pleine forme, qui fait campagne pour l’adoption de mesures contre « l’immigré-qui-mange-le-pain-des-honnêtes-gens ».
Le 26 avril, ils se réconcilient et tombent d’accord, à Rome, pour estimer que le traité de Schengen ne suffit plus. Certes, celui-ci prévoit des cas de « suspension provisoire », qui, depuis 1995, ont été invoqués à soixante et onze reprises, par l’un ou l’autre des États membres. Mais il n’en existe que deux où la libre circulation puisse être suspendue : en cas d’événement prévisible, telle la Coupe du monde de football (en 2006, l’Allemagne a stoppé les hooligans désireux de se rendre sur son territoire pour y faire des dégâts), et en cas de risque pour la sécurité publique. À l’évidence, l’arrivée des Tunisiens à Lampedusa ne relève ni de l’un ni de l’autre.
Par lettre, Sarkozy et Berlusconi demandent alors à la Commission européenne de pouvoir rétablir temporairement un contrôle aux frontières s’il apparaît qu’un pays membre néglige son travail de vérification. Le Français pense évidemment à l’Italie. Et l’Italien, à la Grèce, où affluent Afghans, Syriens et Irakiens.
Acte IV (en cours). Le 4 mai, la Commission de Bruxelles accepte le principe de la requête franco-italienne en cas de pression migratoire « forte et inattendue ». Mais il faut encore que les ministres de l’Intérieur des Vingt-Sept discutent le texte que préparent Paris et Rome, puis le fassent approuver, en juin, par les chefs d’État et de gouvernement.
Gageons que tous les pays hostiles à une remise en question de l’un des piliers les plus symboliques de la construction européenne ne laisseront pas remettre en cause la libre circulation des personnes et le démantèlement des postes-frontières. Le débat promet d’être vif.
Cecilia Malmström, la commissaire européenne aux Affaires intérieures, qui juge l’espace Schengen « fantastique », devrait réussir à contrer en douceur la France et l’Italie, même épaulées par l’Allemagne et les Pays-Bas. Elle reconnaît au système certaines « faiblesses », mais, plutôt que de multiplier les exceptions, préconise au contraire de renforcer les compétences communautaires pour réduire l’arbitraire des États en matière de contrôle.
Sans attendre le résultat de ces affrontements, soulignons la différence de comportement entre l’Afrique et l’Europe. Confrontée à l’afflux de plusieurs centaines de milliers de réfugiés fuyant les combats en Libye, la première garde ses frontières ouvertes pour les accueillir, malgré sa pauvreté. La seconde n’en finit pas de se rêver en forteresse, parce que quelques dizaines de milliers d’immigrés effraient les plus obtus de ses riches citoyens.
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