Liban : l’impasse du Cèdre

Plus de cent jours après son élection par le Parlement, le nouveau Premier ministre libanais n’est toujours pas parvenu à former un gouvernement. Un blocage récurrent lié à un confessionnalisme politique obsolète.

Najib Mikati, Premier ministre libanais. © Anwar Amro/AFP

Najib Mikati, Premier ministre libanais. © Anwar Amro/AFP

Publié le 25 mai 2011 Lecture : 3 minutes.

Dans un pays sur lequel plane le spectre de la guerre civile (1975-1990) depuis vingt ans, le nouveau Premier ministre, Najib Mikati, élu par le Parlement le 25 janvier, n’est pas encore parvenu à former un gouvernement. Ancien député du camp pro-occidental, mais désormais soutenu par le Hezbollah, Mikati est à l’image du pays : sur le fil du rasoir.

Toujours empoisonné par les ingérences étrangères, fragilisé par l’équation confessionnelle, secoué par les assassinats, le pays du Cèdre est en outre volontiers amnésique. Qu’attendent les autorités de Beyrouth pour exorciser les démons de la guerre civile – qui a fait 150 000 morts –, en mettant enfin en œuvre les accords de Taëf, ratifiés à la fin de 1989 pour configurer le nouveau Liban ?

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Priorité numéro un : l’abolition du confessionnalisme politique. Instauré en 1943, ce système, qui repose sur un savant équilibre entre les communautés à l’aune de la démographie, impose un président maronite, un Premier ministre sunnite et un président du Parlement chiite. Mais le dernier recensement date… de 1932. Or les chrétiens, à l’époque majoritaires, disposent à ce jour de la moitié des sièges au Parlement, alors qu’ils ne représenteraient plus que 40 % de la population, contre 60 % pour les musulmans (dont 27 % de sunnites et 26 % de chiites).

Clientélisme

Conséquence néfaste : le clientélisme. Dans un petit pays où cohabitent dix-huit confessions, « les groupes qui se partagent le pouvoir n’ont pas intérêt à changer le système, estime Karam Karam, chercheur à Common Space Initiative, à Beyrouth. Pour obtenir un emploi, un logement, ou une protection en temps troubles, les Libanais se tournent vers les leaders de leur communauté. »

Selon une enquête de l’institut Information International menée en février 2010, 58 % des Libanais se disent favorables à l’abolition immédiate du confessionnalisme. En 2008, un spot de la télévision publique présentait un Sud-Africain annonçant « je suis sud-africain », par opposition aux Libanais, qui eux déclarent « je suis chiite » ou « je suis maronite ». Les mots « Quand allons-nous enfin être libanais ? » apparaissent alors à l’écran sur fond d’hymne national. « L’identité nationale est une marque vendeuse », estime le chercheur Assem Nasr. Mais trompeuse : seul le mariage religieux est reconnu. « Le mariage civil, pas la guerre civile ! » scandaient les 3 000 jeunes qui ont défilé à Beyrouth le 27 février dernier.

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L’autre impératif pour garantir la stabilité est le rétablissement de la souveraineté du Liban. Les trois acteurs étrangers impliqués dans la guerre se sont retirés du pays : l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1982, l’armée israélienne en 2000 et l’armée syrienne en 2005. Mais Damas conserve une grande influence, tandis que la guerre entre Israël et le Hezbollah à l’été 2006 (1 200 morts) a montré que la souveraineté de l’État est menacée à la fois de l’étranger et de l’intérieur. L’AK-47 qui coiffe le mot « Hezbollah » sur le drapeau jaune du mouvement chiite vient d’ailleurs rappeler que le parti dispose toujours d’une aile militaire, alors que toutes les autres milices ont désarmé entre 1990 et 1991. Mais le dialogue national sur « les armes de la résistance » est au point mort.

Amnésie

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Troisième point des accords de Taëf passé à la trappe : l’histoire et la mémoire. Place des Martyrs, à Beyrouth, le Dôme, un bâtiment criblé d’impacts de balles, a accueilli, au printemps 2010, l’exposition « Dans une mer d’oubli », consacrée aux disparus de la guerre, dont l’État n’a jamais calculé le nombre (certains avancent le chiffre de 17 000). « Tant qu’il n’y a pas de monument aux morts, je considère que la guerre n’est pas finie », déclare Alfred Tarazi, responsable de l’exposition.

À Al-Nabi Zaour, près de la frontière syrienne, une dalle d’asphalte recouvre un ancien centre d’interrogatoire syrien. Aucune plaque commémorative, mais l’anonyme balançoire d’une aire de jeux… La commission chargée par Taëf d’élaborer un manuel d’histoire sur la guerre a interrompu ses travaux en 2000, alors qu’un tiers de la population a moins de 20 ans. Et pour mieux oublier, l’État a décrété une amnistie en 1993 pour les crimes commis en temps de guerre. Pas de justice, pas de pardon, pas de paix.

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