Aqmi sans Ben Laden
Avec la mort d’Oussama Ben Laden, les djihadistes sahéliens ont perdu leur chef charismatique. Si certains prédisent leur affaiblissement progressif, dans l’immédiat, ils pourraient se radicaliser davantage.
La mort d’Oussama Ben Laden est-elle un coup dur pour Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ? Sans aucun doute. En septembre 2006, les djihadistes algériens ont fait allégeance à Ben Laden. Aujourd’hui, ils sont groggy et s’en cachent à peine. Le 8 mai, dans un communiqué diffusé sur internet, Aqmi lance : « Ne pleurez pas le cheikh [Ben Laden, NDLR]… Levez-vous plutôt et marchez sur ses pas… Levez-vous et contrecarrez l’agression américaine sioniste injuste avec toute votre puissance et votre énergie. »
Dans ce communiqué, Aqmi se console en disant : « Les événements qui secouent le monde arabe ne sont qu’un fruit parmi les fruits que le djihad a récoltés, et dans lequel le cheikh a joué un rôle de premier plan. » Sous-entendu : Ben Laden a lancé le printemps arabe. Il meurt au bon moment. En réalité, pour Aqmi, la mort de Ben Laden tombe très mal. Six mois plus tôt, le 27 octobre 2010, le chef d’Al-Qaïda faisait un geste important à l’égard du mouvement d’origine algérienne. Pour la première fois, il le citait dans l’une de ses déclarations. Mieux, il reprenait à son compte la dernière action terroriste d’Aqmi – l’enlèvement, le 16 septembre, de sept expatriés à Arlit, au Niger.
Succession
Ce jour d’octobre, l’émir algérien d’Aqmi, Abdelmalek Droukdel, a dû crier victoire. Après sept années d’efforts, il obtenait enfin la reconnaissance personnelle de Ben Laden, le chef charismatique. Aujourd’hui, tout s’écroule. Comme l’explique le spécialiste du monde arabe Mathieu Guidère*, « la mort de Ben Laden, c’est la perte par Aqmi de la dimension politique et internationale de ses actions terroristes ».
Bien sûr, Al-Qaïda va se donner un nouveau leader. Si c’est l’Égyptien Ayman al-Zawahiri, les liens avec Aqmi vont perdurer, car Zawahiri et Droukdel correspondent depuis plusieurs années. Si le Libyen Abu Yahya al-Libi prend du poids au sein du nouvel appareil d’Al-Qaïda, Droukdel ne pourra que s’en réjouir. Al-Libi a suivi des études coraniques à Nouakchott et a épousé une Mauritanienne. Mais Ben Laden ne sera pas facile à remplacer. C’était un symbole. Et par son charisme, il fédérait. Quand il adoubait quelqu’un, il déléguait son autorité. Droukdel en a profité. Aujourd’hui, les vieilles divisions du temps du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) – l’ancêtre d’Aqmi – risquent de resurgir. Pronostic d’un ex-négociateur : « En fait, la mort de Ben Laden va affaiblir Aqmi progressivement. »
Pour l’heure, Aqmi est sous le choc, mais n’est pas affaiblie, loin de là. Au contraire, à Bamako, le nouveau ministre des Affaires étrangères, Soumeylou Boubèye Maïga, redoute à présent une « fuite en avant » et une « autoradicalisation » du groupe (Le Monde, 4 mai). À Paris, le chef de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), Bernard Squarcini, craint une « surenchère » des djihadistes et précise : « Aqmi est passée en deux ans de 150 à 400 hommes, avec un cercle logistique de 150 à 200 hommes » – sans doute parle-t-il de la branche saharienne du mouvement, celle que dirigent Abdelhamid Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar dans le nord du Mali.
De fait, depuis huit mois, Aqmi multiple les coups d’éclat : sept expatriés capturés à Arlit en septembre – trois ont été libérés en février –, deux Français pris à Niamey en janvier – tous deux sont morts dans l’accrochage qui a suivi avec un commando français –, et une tentative d’attentats à la bombe à Nouakchott en février – les terroristes voulaient faire exploser 1,7 tonne d’explosifs près de la présidence et de l’ambassade de France ! Le conseiller sécurité d’un président sahélien confie : « Après la mort de Ben Laden, les gens d’Aqmi vont certainement tenter quelque chose de spectaculaire. »
Un nouveau raid terroriste sur une capitale africaine ? « Pas sûr qu’Aqmi puisse encore le faire, estime notre conseiller. Depuis que les avions français et les satellites américains observent tout ce qui bouge dans la zone, c’est plus compliqué pour eux. L’échec des attentats de février, c’est grâce à la main de Dieu – l’un des véhicules chargés d’explosifs s’est ensablé pendant deux heures à 15 km de Nouakchott –, mais c’est aussi grâce aux écoutes des conversations entre djihadistes. »
Missiles
Le plus grand sujet d’inquiétude, à l’heure actuelle, c’est l’arrivée éventuelle de missiles sol-air dans les stocks d’Aqmi. Le président tchadien est sûr « à 100 % » que les islamistes en ont déjà. « Ils ont profité du pillage des arsenaux libyens par les rebelles [de Benghazi] ». Le conseiller sécurité est moins catégorique : « Les missiles, je n’ai pas la preuve de leur présence chez Aqmi. Mais il est vrai que, depuis la guerre en Libye, les islamistes achètent des armes à tour de bras. Ils passent par des trafiquants toubous et touaregs qui se servent chez les rebelles anti-Kadhafi, mais aussi dans les arsenaux de Kadhafi lui-même, grâce à la complicité de mercenaires. » En janvier, lors de la tentative de libération des deux otages capturés à Niamey, un hélicoptère français a été touché, mais a réussi à se dégager. Demain, si les terroristes sont équipés de missiles…
Autre source d’inquiétude : la mise en circulation d’un nouveau type d’explosif, beaucoup moins lourd que celui utilisé lors de l’opération ratée de Nouakchott, mais tout aussi puissant. D’après un spécialiste, « si les terroristes parviennent à s’en procurer, ils n’auront plus besoin de se déplacer en véhicules et seront plus difficiles à repérer ».
Au total, la crise libyenne renforce les capacités opérationnelles d’Abou Zeid et de Mokhtar Belmokhtar. « Mais attention, tempère un haut diplomate français, à force de s’équiper et de se surarmer, les islamistes du désert menacent l’Algérie. Et celle-ci va peut-être enfin se mobiliser contre eux. » Longtemps, la mésentente entre Alger et les pays sahéliens a profité aux djihadistes du nord du Mali. Ces derniers mois, Alger a même reproché à ses voisins du Sud d’accueillir des militaires, des avions et des hélicoptères français sur leur sol. Confidence d’un sécurocrate du Sahel : « Jusqu’à présent, les Algériens ont traîné des pieds parce qu’ils voulaient le leadership dans la sous-région, sans la moindre présence américaine ni française. Le problème, c’est qu’ils n’ont pas les mêmes capacités d’écoute et d’observation que les Occidentaux. J’espère qu’ils vont finir par ouvrir les yeux. »
Il reste la question clé : le sort des quatre otages français, enlevés en septembre à Arlit, et de l’otage italienne, capturée en février dans le sud de l’Algérie. Après la mort d’Oussama Ben Laden, leurs proches sont partagés. D’un côté, ils craignent que leurs ravisseurs se vengent sur eux. De l’autre, ils espèrent que les négociations vont devenir plus faciles. Du vivant de Ben Laden, Aqmi réclamait le retrait des forces françaises d’Afghanistan. Aujourd’hui, les discussions pourraient prendre un tour moins politique. Pour la libération des quatre Français, l’organisation réclamerait 100 millions d’euros… En février, leurs trois compagnons de captivité – deux Africains et une Française – ont été relâchés. Une première bonne nouvelle après des mois de guerre ouverte entre Aqmi et la France, depuis l’assassinat de l’otage Michel Germaneau en juillet 2010 jusqu’à l’accrochage meurtrier de janvier dernier. Surtout, ces trois libérations prouvent qu’un contact a été établi avec les ravisseurs et que des intermédiaires peuvent agir. « Aqmi a besoin d’argent, affirme un spécialiste. La “chance” des otages, c’est qu’ils ont une valeur marchande. »
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* Mathieu Guidère, auteur du Choc des révolutions arabes, éd. Autrement, 2011.
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