Rastafarisme : Leonard Howell porté au pinacle

Si les chansons de Marley ont contribué à populariser le mouvement rasta, l’initiateur de ce mode de vie est moins connu. La journaliste française Hélène Lee se bat pour faire revivre sa mémoire.

Le Jamaïcain Howell fait du négus éthiopien son Dieu. © D.R.

Le Jamaïcain Howell fait du négus éthiopien son Dieu. © D.R.

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Publié le 11 mai 2011 Lecture : 5 minutes.

Bob Marley, 30 ans déjà…
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Dans le monde du reggae, le Tuff Gong Studio de Kingston est une référence mythique. Créé par Bob Marley dans l’idée d’y enregistrer ses albums en toute liberté, il a vu depuis passer nombre de musiciens. Les aficionados savent qu’il doit son nom au surnom de Bob Marley, « Tuff Gong », mais rares sont ceux qui savent que « le Gong » était le sobriquet désignant Leonard Percival Howell – l’un des tous premiers prêcheurs rastas !

Leonard Percival Howell est né en 1898 et mort en 1981, deux mois avant Bob Marley. Ce personnage serait resté ignoré s’il n’avait suscité la curiosité d’une ancienne journaliste du quotidien français Libération, spécialiste des musiques noires, Hélène Lee. Auteure en 1999 d’un livre intitulé Le Premier Rasta (Flammarion), elle vient de réaliser un film éponyme qui fait la part belle aux témoignages de rastas jamaïcains ayant croisé le chemin chaotique d’Howell. « Quand j’écrivais sur le reggae, j’ai rencontré beaucoup de gens qui voulaient comprendre qui étaient les rastas et d’où venait le mouvement, explique Lee. Je suis donc allée chercher des réponses. Ce travail m’a pris quinze ans et personne ne nous a jamais aidés, ni pour le livre ni pour le film. » Qu’existait-il sur Howell lorsque Hélène Lee a commencé sa quête ? Quelques photos, des images de son enterrement, une compilation de textes (The Promised Key) signée sous le pseudonyme de Gong Guru Maragh et un long article publié en 1983 par un universitaire californien, Robert Hill, dans le Jamaica Journal. « J’aime farfouiller là où les gens n’aiment pas mettre leur nez », confie la réalisatrice, pour qui le silence entourant la biographie et les idées de Howell est forcément coupable. « Howell est un pauvre qui parle aux pauvres. Si, toute sa vie, il a été emprisonné, poursuivi, jeté en hôpital psychiatrique, c’est parce que sa pensée est rebelle, révolutionnaire. »

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Le film s’ouvre sur ce pesant silence et l’idée que la Jamaïque a enterré non seulement l’homme, mais aussi sa mémoire. Puis Hélène Lee raconte. À 17 ans, le jeune Howell est témoin d’un meurtre. L’accusé est son oncle. Il refuse de collaborer avec la justice coloniale et fuit en 1916 vers Panamá, où le canal a ouvert deux ans plus tôt. Il y fréquente le monde des marins, avant d’embarquer à bord d’un navire de la United Fruit Company, entreprise spécialisée dans les fruits exotiques et qui est à l’origine de l’expression « république bananière ». Hélène Lee, qui cherche à démontrer que la pensée rasta est « la première pensée altermondialiste », décrit par le menu les contacts d’Howell avec le capitalisme sauvage et le monde sur lequel il règne, plus tard qualifié de « Babylone ». Après avoir été aide-cuisinier sur un navire de l’US Army, Howell débarque à New York au début des années 1920. Ou plutôt, à Harlem, « Mecque du nouveau nègre ». Il vibre aux discours de son compatriote Marcus Garvey, qui prêche pour l’union des Noirs du monde entier et leur retour en Afrique. En 1929, les temps sont durs. Arrêté pour recel, Howell passe douze mois dans la prison de Sing Sing. De retour en Jamaïque, il commence à prêcher après le sacre du ras Tafari Makonnen devenu, en novembre 1930, l’empereur Haïlé Sélassié Ier « roi des rois d’Éthiopie, seigneur des seigneurs, lion conquérant de la tribu de Juda, lumière du monde, élu de Dieu ». Howell y voit la réalisation d’une prédiction attribuée au révérend James Morris Webb, qui écrivait en 1924 : « Regardez vers l’Afrique, où un roi noir sera couronné, car le jour de la délivrance est proche. »

Sédition

Dans la Jamaïque de 1934, reconnaître l’autorité d’un empereur, c’est refuser celle de Georges V, le roi d’Angleterre. Le procès pour sédition auquel doit faire face Howell marque l’acte de naissance du mouvement rasta en favorisant une large médiatisation de ses idées. Lesquelles empruntent beaucoup à l’hindouisme, très présent sur l’île. « La pensée occidentale, basée sur le calcul, la division, l’analyse, fragmente le monde. La pensée indienne, en revanche, fonctionne par cycles et n’oppose pas le divin et l’humain », explique Hélène Lee. La ganja n’est que l’emprunt le plus visible du mouvement rasta à la religion indienne.

Militant de la cause noire, inspiré par Gandhi, Howell se détache des idées de Marcus Garvey. Alors que ce dernier ne s’attaque pas à la Babylone financière mondiale et souhaite que les Noirs acquièrent aussi le pouvoir économique, « Howell remet en cause le système lui-même, qui ne rend pas justice aux travailleurs », dit Hélène Lee. Allié à des fortunes du pays, mais sans cesse pourchassé, le Gong crée la communauté rasta de Pinnacle, en 1940, où l’on vit en accord avec la nature… et grâce au commerce de la marijuana. Le pouvoir en place – même si nombre de partis se financent grâce à l’herbe – ne peut tolérer l’outrecuidance d’une société qui n’obéit qu’à ses règles. Comme le dit un proverbe jamaïcain, « Quand le cheval a passé le portail, on ne peut plus le rattraper »… Soumis à la violence des raids policiers, Pinnacle, où vivront jusqu’à 3 000 personnes, sera démantelé au début des années 1950. Les rastas essaimeront ailleurs, dans les coins les plus reculés du monde.

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Leader sans dogme, qui ne cherche pas des adeptes obéissants et propose plus un mode de vie qu’un prêt-à-penser, Leonard Percival Howell vivra encore longtemps, craint et haï par les politiciens locaux, jusqu’à ses derniers jours passés à l’hôtel Sheraton de Kingston. Si Hélène Lee fait en partie l’impasse sur la période historique qui court de 1960 aux années 1980, et si elle n’approfondit guère les notions religieuses défendues par Howell, Le Premier Rasta a l’incontestable mérite de mettre en avant une pensée non conformiste. Une pensée qui, selon Lee, est encore aujourd’hui mise sous le boisseau : « L’idée qu’un autre monde est possible, et que l’on peut refuser un système nocif dans lequel on n’arrivera à rien, voilà une pensée dangereuse. C’est pour cela qu’on l’a cachée aux gens, c’est pour cela que ce film déplaît ! ». Don’t give up the fight ! 

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Le Premier rasta, de Hélène Lee, sorti à Paris le 27 avril.

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