Jean-Louis Billon : « Pas une entreprise ivoirienne n’a été épargnée par les pillages »
Récession, arrêt des investissements, chômage… Le président de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire dresse un constat alarmant. Son exigence dans l’immédiat : le retour de la sécurité. Sa feuille de route ensuite : une réforme fiscale, la relance des filières structurantes et une révision du franc CFA.
Jeune Afrique : Au vu de la situation actuelle, y a-t-il un risque de récession économique en Côte d’Ivoire en 2011 ?
Jean-Louis Billon : Oui. Il y a de fortes chances. Après la période électorale, durant laquelle elle fonctionnait déjà au ralenti, puis la crise politique et les sanctions internationales, l’économie est à plat. Il est impossible d’évaluer avec précision l’impact sur les chiffres d’affaires, car les situations sont disparates. Mais nous sommes tous en « mode survie ». Bon nombre de sociétés ne parviennent plus à verser les salaires, et le taux de pauvreté a largement dépassé les 50 % de la population. Quant au chômage, le chiffre de 22 % habituellement retenu ne reflète plus du tout la réalité.
Que faut-il faire en priorité ?
La première urgence est de rétablir la sécurité des personnes et des biens. Pas une entreprise n’a été épargnée par les pillages. Pour cela, il faut remettre au travail la police et la gendarmerie et relancer la machine administrative. Bref, renouer avec un État de droit. Ensuite, il faut rassurer les opérateurs économiques sur le long terme pour sécuriser les investissements en cours et permettre le lancement de nouveaux projets. Cela implique une réparation des dommages liés à la crise. Ce dossier avait déjà été mis sur la table par la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) en 2004. Le principe d’une indemnisation est, depuis, acquis. Il convient de lancer sa phase active en envisageant, par exemple, des aménagements fiscaux. L’autre priorité est la réforme fiscale.
Quelle réforme ?
Notre fiscalité est inadaptée. Celle de notre voisin, le Ghana, est beaucoup plus attractive avec une taxation à 10 % des bénéfices, contre 25 % en Côte d’Ivoire. Pendant trop longtemps, nous n’avons pas eu de politique économique, seulement une politique budgétaire sans que notre fiscalité ait permis de construire des routes, des écoles…
Mais avec quel argent le pays peut-il engager tous ces chantiers ?
L’aide internationale est pour l’heure insuffisante, mais si les autorités lancent un véritable plan de redressement et de reconstruction – axé notamment sur les grandes filières structurantes à haute intensité de main-d’œuvre comme le cacao, le caoutchouc, le palmier, le sucre, les transports… –, les bailleurs et les investisseurs internationaux suivront. La Société financière internationale (SFI) et Proparco ont déjà exprimé leur volonté de redémarrer leurs activités. Les banques privées de la place doivent aussi se montrer plus offensives en accordant des financements à long terme.
Nous avons besoin d’investissements directs étrangers (IDE) car ils sont sources de compétitivité et de transferts de technologies. La paix et la stabilité sont conditionnées par un secteur privé en expansion, créateur d’emplois et de richesses. Cela passe par la présence de filiales de groupes étrangers et d’un tissu de PME. C’est cette articulation qu’il faut consolider et pérenniser.
Comptez-vous sur la France, le premier partenaire économique de la Côte d’Ivoire ?
Si la France est notre partenaire traditionnel, nous avons intérêt à diversifier nos interlocuteurs. Pour trois raisons : le centre de gravité de l’économie mondiale s’est déplacé en Asie, nous n’avons aucun intérêt à traiter avec les mêmes baroudeurs qui tournent sur le continent, et il faut lutter contre les monopoles. Ils sont interdits en Europe. Pourquoi devrait-on les accepter ici ?
Le franc CFA à parité fixe et indexé sur l’euro est-il un handicap ?
Le franc CFA est un euro qui ne dit pas son nom. Il doit être réformé car il pénalise notre compétitivité internationale. On peut très bien envisager un franc CFA indexé sur un panier de monnaies. Il n’est pas normal, par exemple, que la transformation du cacao en Côte d’Ivoire soit deux fois plus chère qu’ailleurs. Ce surcoût repose sur une combinaison de facteurs, dont le coût de l’argent. La France aurait tout intérêt à favoriser des économies dynamiques en zone CFA. Mais ce sujet doit être pris en charge par nos chefs d’État. Ce n’est pas le cas actuellement. Ils sont trop éloignés du monde de l’entreprise.
De ce point de vue, l’économiste Ouattara peut être un allié…
En effet, nous avons à présent un économiste au pouvoir. Et qui plus est, il a les connexions requises avec les institutions internationales.
Et sur le plan intérieur, Alassane Ouattara est-il en mesure de conjurer la tentation de revanche d’un camp sur l’autre ?
Le projet est de construire un État de droit de plein exercice. Il ne faudrait pas remplacer une politique tribale par une autre. Il faut réunir tous les Ivoiriens : que l’armée et le gouvernement reflètent la mosaïque ivoirienne. Cela passe notamment par un gouvernement de très large ouverture.
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Propos recueillis par Pascal Airault et Philippe Perdrix
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