Al-Qaïda : ces musulmans qui ne croyaient plus en Ben Laden
Très populaire chez les musulmans au lendemain du 11 Septembre, le chef d’Al-Qaïda avait, au fil des années, beaucoup perdu de sa crédibilité. Une enquête d’un think-tank américain le confirme.
Spécial Ben Laden : le djihad sans tête
« Faites-vous confiance à Ben Laden pour agir positivement sur les affaires du monde ? » Depuis 2003, le think-tank américain pose cette même question dans dix-huit pays musulmans, du Bangladesh au Nigeria*. Les réponses font apparaître dans l’opinion musulmane de fortes disparités géographiques : 72 % de réponses positives dans les territoires palestiniens, 15 % en Turquie (2003). Mais aussi une forte érosion de la popularité du djihadiste dans l’ensemble des pays étudiés. En Indonésie, il perd 33 points entre 2003 et 2011, et 38 dans les territoires palestiniens. Au Liban, ils ne sont plus que 1 % à lui faire confiance, contre 19 % en 2003. Il n’y a guère qu’au Nigeria que sa cote de confiance progresse : de 45 % en 2003 à 48 % en 2010. Le nouveau dirigeant par intérim de la nébuleuse djihadiste, l’Égyptien Saif al-Adel, a donc fort à faire…
Le constat de cette désaffection rejoint les analyses des spécialistes, pour qui le « déclin » d’Al-Qaïda est inéluctable. On peut y voir un « effet Obama ». Car une enquête du même think-tank montre, parallèlement, une nette amélioration de l’image des États-Unis dans les pays musulmans. Reste que, pour comprendre l’effondrement de la popularité d’« OBL », il faut d’abord s’intéresser à sa genèse.
« L’attentat du World Trade Center a eu lieu un an après le déclenchement de la seconde Intifada palestinienne, rappelle l’universitaire français Dominique Thomas. Pour beaucoup de musulmans, Ben Laden a représenté la seule réponse à la toute-puissance américaine, à l’occupation israélienne et à l’impuissance de leurs propres dirigeants. » Pourtant, le héros de la lutte « contre les Juifs et les croisés » n’a, depuis 2001, lancé aucune opération en Israël ou sur le sol américain. Son dernier fait d’armes en Occident remonte aux attentats de Londres, en 2005.
Massacres aveugles
En revanche, les djihadistes qu’il inspire ont multiplié les actions en terre musulmane et massacré aveuglément leurs coreligionnaires. En Jordanie, le triple attentat de novembre 2005 a fait cinquante-sept morts et horrifié la population. La cote de popularité de Ben Laden s’est aussitôt effondrée : 61 % en 2005, 24 % en 2006. En Irak, les carnages perpétrés par Abou Moussab al-Zarqaoui ont eux aussi révulsé une large partie de l’opinion. Et même suscité la réprobation d’islamistes parmi les plus radicaux.
« À partir de 2003, l’extrémisme qui s’est manifesté en Irak a été rejeté par de nombreux membres d’Al-Qaïda, comme Al-Makdissi, le mentor de Zarqaoui », confirme Dominique Thomas. En 2007, l’Égyptien Sayyed Imam Al-Sharif, alias Docteur Fadl, une référence d’Al-Qaïda en matière de doctrine, a fermement condamné la stratégie de Ben Laden, précisant même à l’intention de ce dernier : « Les vrais leaders doivent se placer au premier rang de leurs troupes, non se terrer dans des grottes. »
Enlèvements et trafics dans le Sahel, contrôle territorial en Somalie, attentats contre des civils en Irak, attaques des forces gouvernementales au Yémen… De l’Asie centrale à l’Afrique occidentale, les stratégies très contrastées des groupes affiliés à la nébuleuse n’ont pas contribué à accroître sa crédibilité. « Les dissensions au sein d’Al-Qaïda, sa dispersion géographique et son absence de réelle base sociale ont nui à sa lisibilité », analyse Dominique Thomas.
En outre, la montée en puissance d’un islamisme modéré en Turquie, au Maroc, en Tunisie ou en Égypte offre une alternative raisonnable et efficace au salafisme djihadiste. Enfin, la popularité de Ben Laden tenait beaucoup à son image médiatique. Or, au fil des années, celle-ci s’est faite de plus en plus rare, jusqu’à disparaître presque complètement à partir de 2007. Son assassinat le fait revenir sur le devant de la scène. Mais pour combien de temps ?
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* Le sondage ne prend en compte dans chaque pays, que les citoyens de confession musulmane.
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