Football : Black-Blanc-Beur, et si c’était un mythe français ?
Presque un an après la désastreuse Coupe du monde en Afrique du Sud, le football français a été ébranlé par une nouvelle affaire, où il est question de quotas de joueurs binationaux. Racisme, discrimination, ou simple dérapage ? Le sélectionneur des Bleus Laurent Blanc a dû présenter ses excuses et avoué avoir songé à démissionner. Enquête dans les coulisses d’un milieu que la France avait érigé en symbôle de sa diversité.
C’est encore une affaire de huis clos. Il y a presque un an, au cœur d’une Coupe du monde désastreuse pour l’équipe de France, une bande de vingt-trois footballeurs frondeurs avait décrété une grève de l’entraînement dans l’intimité d’un bus sud-africain garé à quelques mètres de leur terrain d’entraînement de Knysna.
L’arrivée de Laurent Blanc à la tête des Tricolores en juillet 2010, suivie par des résultats encourageants, avait permis au football français de regarder enfin devant lui. Mais, le 28 avril dernier, le journal en ligne Mediapart a révélé la teneur d’une réunion de la Direction technique nationale (DTN), organisée le 8 novembre 2010 dans les locaux de la Fédération française de football (FFF), et consacrée à la formation des joueurs et des cadres. La discussion, enregistrée secrètement par Mohammed Belkacemi – responsable de l’association Football de quartier –, dérive rapidement sur la question des joueurs binationaux dans les centres de formation. Et c’est le mot « quotas », prononcé par François Blaquart, alors directeur technique national intérimaire (il succédera à Gérard Houllier en février 2011), qui a tout déclenché.
Sauterie fédérale
Lors de cette réunion, à laquelle participe notamment Laurent Blanc, Erick Mombaerts, le sélectionneur de l’équipe de France Espoirs, évoque la question des binationaux et la possibilité d’en limiter le nombre dans les centres de formation. Blanc, qui s’est toujours exprimé avec une certaine liberté sur le sujet, y est favorable. « Quand les gens portent les maillots de l’équipe nationale des 16, 17, 18, 19, 20 ans et Espoirs, et qu’après ils vont aller jouer dans des équipes nord-africaines ou africaines, ça me dérange énormément. Ça, il faut quand même le limiter », déclare « Le Président ». Et tandis que Mombaerts évoque « un tiers de gamins qui peuvent changer [de sélection, NDLR] », Blaquart, suspendu depuis à titre provisoire par son ministère de tutelle le temps de l’enquête menée conjointement par la FFF et l’Inspection générale de la jeunesse et des sports (IGJS), pousse le raisonnement plus loin. « Faut faire un projet… On peut baliser, en non-dit, sur une espèce de quota. Mais il ne faut pas que ce soit dit. Bon voilà, on fait attention… »
Raté ! Le mot est lancé, et prend des proportions que les participants à cette sauterie fédérale n’auraient jamais imaginées. Certains d’entre eux expriment ouvertement leur désaccord sur cet éventuel projet, que Blanc défend dans le seul but, assure-t-il, de mettre en place son plan de jeu inspiré du FC Barcelone et de la sélection espagnole (jeu court et rapide) et que favoriserait la présence de joueurs pas très grands et techniques. « Foutaises, s’exclame Pape Diouf, l’ancien président de l’Olympique de Marseille (2005-2009). Prenez l’Ajax Amsterdam des années 1970, qui a tout gagné aux Pays-Bas et en Europe. Dans cette équipe, presque tous les joueurs étaient grands et costauds, et cela ne les empêchait pas d’être techniques et rapides ! ».
Depuis la révélation de l’affaire, les réactions, hâtives, indignées ou mesurées, peuplent les colonnes des journaux et envahissent les ondes. Avec, en fil rouge, la question d’un football français, sinon raciste, au moins discriminatoire. « Il ne faut pas exagérer et être très prudent sur les termes, explique Jacques Faty (FC Sochaux), lui-même directement concerné par la question de la binationalité. J’ai été champion du monde des moins de 17 ans avec la France en 2001. Mais comme je n’avais jamais été appelé en A [équipe de France], j’ai pu profiter des règlements de la Fifa pour jouer avec le Sénégal, mon pays d’origine*. Maintenant, dire que le football français est raciste, non. Parler de quotas, c’est malvenu, maladroit, très tendancieux, mais ce n’est pas parce qu’une personne a prononcé ce mot que le foot français est raciste. Ça se saurait ! Des racistes, il y en a partout, ils sont de toutes les couleurs, et le football n’y échappe pas. Mais cela ne concerne qu’une minorité de personnes… »
Des proportions incroyables
Alexandre Lacombe, le président de Faty à Sochaux, abonde dans le même sens. « En France, chaque mot prend des proportions incroyables. Mais ceux qui disent que le foot français est raciste sont souvent ceux qui ne connaissent pas ce milieu, constate le dirigeant franc-comtois. Le foot, c’est la diversité ! Regardez la composition des équipes pros, allez faire un tour dans les centres de formation, et vous verrez des Blancs, des Noirs, des Arabes, des Sud-Américains, des joueurs de l’Est ! On s’en fout, de la couleur de la peau, de la religion et des origines ! Et dans mon club, j’ai eu jusqu’à l’an dernier un entraîneur des gardiens algérien [Aziz Bouras, parti au Qatar en juillet 2010], j’ai un recruteur algérien (Abdel Djadaoui), et au niveau administratif, plusieurs personnes issues de la diversité. »
Cette absence de relents racistes dans un monde qu’il a longtemps côtoyé, l’ancien international camerounais Romarin Billong (ex-joueur de Lyon, Saint-Étienne, Nancy) la confirme sans le moindre début d’hésitation : « Dans ce milieu, on prend les meilleurs, avance-t-il. Bien sûr, si on parle de quotas, c’est discriminatoire. Mais Laurent Blanc a dit, lors de cette réunion, qu’il n’avait aucun problème avec les gens de couleur ou les Nord-Africains. Et je le crois. Il veut changer de projet de jeu, et prendre des joueurs moins athlétiques. Or, des Arabes ou des Noirs qui ne font pas 1,90 m et qui sont techniques et rapides, il y en a : Ben Arfa, Nasri, par exemple. Du racisme, il y en a parfois dans les tribunes. Mais dans les stades de Ligue 1 et de Ligue 2, avec la vidéosurveillance, les stadiers et la police, cela se remarque vite… » Sous le couvert de l’anonymat, le dirigeant d’un club professionnel français ajoute pourtant que la situation est moins reluisante dans le football amateur : « Des “sale nègre”, “sale blanc” ou “sale arabe”, on en entend encore trop souvent. »
"Petite bête"
Formé à Strasbourg, le Franco-Algérien Nordine Sam, qui s’est ensuite exilé en Suisse, à Chypre et en Libye – pays qu’il a quitté juste avant le début de l’insurrection contre le colonel Kadhafi – est « seulement gêné par le terme quotas. C’est emmerdant, surtout que cela concerne des enfants de 12-13 ans ». « Cela dit, en parlant de racisme, on cherche la petite bête, tempère le joueur. Que la DTN réfléchisse pour éviter de former trop de joueurs qui pourraient ensuite rejoindre une autre sélection, cela peut se comprendre. Mais dans certains esprits va germer l’idée que si Yoann Gourcuff est retenu en équipe de France malgré des prestations moyennes à Lyon, c’est pour compenser le fait qu’il y a pas mal de Blacks. C’est un risque. »
D’Algérie, Rabah Saadane, l’ancien sélectionneur des Fennecs, qui a largement utilisé des binationaux lors de la Coupe du monde 2010, ne dépeint pas le football français comme « raciste ». « Le mot “quotas” est sensible, mais c’est une maladresse. Et puis, que la DTN se rassure : les meilleurs joueurs porteront toujours le maillot tricolore. »
Il n’empêche que cette affaire, qui a même fait réagir le 3 mai le quotidien américain The New York Times, pourtant peu porté sur la chose footballistique, pourrait permettre d’élargir le débat. L’ancien champion de tennis Yannick Noah a expliqué à Mediapart « qu’il n’y a [dans le football français] quasiment aucun entraîneur black, qu’à la fédération (FFF), il n’y a à peu près personne [issu de la diversité] parmi les dirigeants. Forcément, à un moment, il y a un problème d’équilibre ».
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* En 2003, la Fédération internationale de football association (Fifa) autorise les joueurs de moins de 21 ans possédant une double nationalité à changer une fois d’équipe nationale, à condition de ne pas avoir évolué en équipe A en compétition officielle. En 2009, la Fifa accepte de faire diparaître la limite d’âge. Cette seconde réforme a notamment permis Jacques Faty de jouer pour le Sénégal.
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