Dérives méditerranéennes

Fawzia Zouria

Publié le 11 mai 2011 Lecture : 2 minutes.

Ça me rappelle la première guerre du Golfe. Entre les rives nord et sud de la Méditerranée, c’est la discorde. Et les amitiés franco-arabes s’en ressentent. À preuve, je me suis accrochée avec ma copine Françoise, celle dont je vous parle de temps en temps dans ces colonnes. Elle dit ne pas comprendre ces Tunisiens qui fuient leur pays alors qu’ils viennent de faire la révolution. Je corrige : ils ne « fuient » pas leur pays, ils le « quittent ». Elle fait semblant de ne pas m’entendre. Cette révolution l’a laissée « baba », poursuit-elle. Elle s’attendait à ce que les enfants de Bourguiba soient réconciliés avec leur pays et contents de rester chez eux. Qu’ils n’aient qu’une envie, un devoir : mettre la main dans le cambouis, construire le chantier de la démocratie, quitte à faire du bénévolat. Je lui réponds que les Tunisiens ont besoin de dignité, certes, mais de pain également, ce que les nantis occidentaux comme elle ne comprennent pas. Elle insiste : « À leur place, je serais restée. La révolution mérite qu’on se sacrifie pour elle. »

J’esquive pour mieux attaquer : « Et moi, à la place de certains Français, j’aurais milité pour réhabiliter la révolution de 1789. Elle est en passe de se fissurer, de perdre ses valeurs fondamentales, dont la fraternité. Y a qu’à voir : on traite les clandestins comme des bêtes pestiférées. Or la Tunisie abrite dignement ses quelque 200 000 réfugiés – soit dix fois plus que les arrivants de Lampedusa – à qui elle offre le couvert et le gîte. » Françoise s’est tue, avant de se raviser : « Tu ne comprends pas les enjeux. Sans ce flux d’immigrés, nous n’aurions pas été menacés par la vague Marine Le Pen. » Une insidieuse envie de l’énerver me fait dire : « Et encore ! Tu n’as rien vu du tsunami qui se prépare si les révolutions maghrébines accouchent de l’islamisme ! Ce sera la vraie déferlante arabe sur l’Europe. » Elle rétorque : « Mais, là au moins, ceux qui fuiront l’intégrisme seront des laïcs, ils ne réclameront ni niqab ni viande halal chez nous ! » Je réponds qu’on ne les distinguera pas forcément des autres. La plupart des musulmans de France ont beau respecter la laïcité plus strictement que le ramadan, ils sont pris malgré tout pour des islamistes. J’ajoute que le parallèle peut être fait avec le parti lepéniste : 80 % de ses adhérents n’ont jamais fréquenté un Maghrébin, mais ils rêvent néanmoins de les voir déguerpir.

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Françoise s’est levée en soupirant. « Je ne te comprends pas. Allez, faut que je parte ! » J’ai failli lui lancer : « C’est ça, dégage ! » Mais s’il y a quelqu’un à qui on peut demander de dégager, c’est à moi qui suis dans son pays. Entre une France qui ne veut plus de ses immigrés musulmans et les révolutions arabes qui risquent de basculer dans l’islam pur et dur, où aller ? Le souvenir des femmes de mon village jadis enfermées entre quatre murs me revient : acculées au pire, ne sachant où aller, elles avaient cette phrase à la bouche : « Mon Dieu, où vais-je trouver refuge ? » Comme quoi, le monde n’a peut-être pas changé !

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