Ondes de choc

Voilà six mois que la télévision du chanteur Youssou Ndour a été autorisée à émettre. Disposant de gros moyens, elle s’est rapidement imposée dans le paysage audiovisuel sénégalais. Reportage.

Sur le plateau de Wareef, une des émissions phare de la TFM. © Émilie Régnier pour J.A.

Sur le plateau de Wareef, une des émissions phare de la TFM. © Émilie Régnier pour J.A.

Publié le 16 mai 2011 Lecture : 4 minutes.

Silence en régie. Le mois de mars touche à sa fin, il est midi. Wareef, l’une des émissions phare de Télévision Futurs Médias (TFM), a repris après une pause d’un quart d’heure. Face à une demi-douzaine d’écrans, le réalisateur, Tonton Mac, dirige calmement les techniciens. Tout en souplesse, malgré le stress du direct et l’apparente jeunesse de l’équipe. De l’autre côté du mur, sur le plateau surchauffé par les projecteurs, Ndiaye Mô Ndiaye, Deguene Chimère Diallo et Zeyna Thiate échangent en wolof sur le thème du jour : la planification familiale.

À chaque semaine son débat : dans le passé, il a été question d’argent facile (des gigolos, de la prostitution), de pédophilie, de mariages interreligieux, de virginité… « Parfois, les échanges sont très durs. Il m’est arrivé de pleurer devant les caméras », confie Zeyna Thiate. « Dans la rue, il m’est aussi arrivé de me faire insulter. On dit que je suis indisciplinée. Mais je ne fais que parler au nom de ma génération. » Ce n’est jamais simple, au Sénégal, de se faire le porte-parole d’une jeunesse en rupture de traditions, surtout face à un sage aussi respecté que tonton Ndiaye. L’homme à la carrure imposante, enveloppé dans un boubou bleu et caché par des lunettes de soleil, est un monument du petit écran national : dix ans de télévision publique avant de rejoindre la TFM. « À la RTS [Radio Télévision sénégalaise], je n’étais pas à l’aise, dit-il. On ne travaillait pas dans de bonnes conditions et on avait moins de liberté. Cette émission est une bonne chose. Elle donne la parole aux jeunes, qui ont besoin de s’exprimer. Elle nous permet aussi de leur donner des conseils. »

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Lancée en octobre 2010, la TFM, plus connue pour être « la télé de Youssou Ndour », a donné un coup de jeune au paysage audiovisuel sénégalais, pourtant bien fourni. Par choix : « On avait la volonté d’apporter une nouvelle manière de faire de la télé », indique Charles Faye, le directeur des sports, qui fait également office de conseiller en communication de la chaîne. Par obligation aussi : « Au début, on n’avait pas le droit de faire de l’info. On a donc misé sur le sport et les débats. »

Un budget colossal

Longtemps, les autorités ont refusé une fréquence au chanteur, déjà patron de deux médias peu favorables au président Wade : le quotidien L’Observateur et la radio RFM, tous deux nés en 2003. Quand Youssou Ndour a fini par obtenir sa licence, en mai 2010, celle-ci lui interdisait de diffuser des journaux d’information. Mais, depuis janvier, l’interdit est tombé. Un soulagement pour l’unique actionnaire, qui y fourre son nez à peu près tous les jours malgré un agenda chargé. « Youssou a mis beaucoup d’argent dans cette télé. L’investissement initial a été de 1,4 milliard de F CFA [2,1 millions d’euros]. Entre 2008 et 2010, ça a été une période très difficile : il a dû acheter le matériel, payer les salaires, rembourser les emprunts, assurer la maintenance, sans aucune rentrée d’argent », indique Charles Faye, qui rappelle que, « sans info, une télé n’est pas viable ».

Depuis quelques mois donc, la TFM propose deux journaux, en wolof et en français. « Ce ne sont pas des journaux classiques. Il y a des reportages, mais nous proposons également de nombreuses rubriques. Nous voulons aller au-delà de l’info », explique Khalifa Diakhaté, le présentateur du journal en français. Et ça marche, si l’on en croit la direction, qui, en l’absence d’études sur les audiences, se fonde sur la publicité pour l’affirmer. « On vend de plus en plus de pubs dans la tranche 20 heures-22 h 30. » Autre signe : les nombreux appels en provenance de l’étranger, lors de l’émission Wareef. Si la TFM n’est pour l’heure visible que sur le littoral sénégalais en analogique, elle l’est dans le monde entier via le satellite.

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« Youssou Ndour a une vraie ambition. Il veut faire de la TFM la première télévision africaine. Une sorte d’Al-Jazira du continent », précise un journaliste de la chaîne. Il s’en est donné les moyens : un budget annuel colossal (1,8 milliard de F CFA), un matériel dernier cri (« ça n’a rien à voir avec ce que j’ai connu avec la RTS », affirme un animateur), et un personnel de qualité (« il a recruté les meilleurs », estime un monteur). En tout, la TFM compte 105 employés.

Situé sur la route des Almadies, un quartier chic de Dakar, dans l’ancien studio d’enregistrement de Youssou Ndour, le siège de la TFM ressemble à une ruche en pleine effervescence. Pendant que Zeyna Thiate se fait bousculer par tonton Ndiaye dans le studio, tout près de là, une dizaine de monteurs, tous très jeunes, s’abîment les yeux sur leurs Mac. Dehors, des journalistes partant en reportage croisent des ouvriers construisant de nouveau locaux. Au sous-sol, où se trouvent trois studios, Kouthia, la star de la chaîne, réfléchit aux sketches du jour. Dans quelques minutes, celui qui se compare aux Guignols de l’info français enregistrera son émission, Kouthia Show, diffusée entre 18 et 19 heures. Un rendez-vous satirique qui fait un carton. La veille, c’est un Kadhafi hystérique qui en a pris pour son grade. Ce soir ? Il imitera le président Wade en personne. « Il a reçu les lutteurs hier. On va bien rigoler. »

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Par Rémi Carayol, envoyé spécial au Sénégal

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