Giles Omezi : « Les villes nigérianes bouillonnent de bonnes idées, il faut les saisir ! »
Face à l’explosion démographique du pays, la première économie ouest-africaine tente d’organiser le développement de ses agglomérations. Le chantier est vaste.
BTP et infrastructures : des chantiers « africanesques »
Né à Lagos et formé à Londres, l’architecte Giles Omezi dirige le cabinet Laterite, qui travaille à la fois en Europe (Royaume-Uni, Pays-Bas et Allemagne) et au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, où plus d’une dizaine de villes dépassent le million d’habitants. Rien qu’à Lagos, 600 000 nouveaux immigrés viennent s’installer chaque année. Pour Giles Omezi, il est crucial, dans ce contexte, de maîtriser et d’accompagner le développement des agglomérations nigérianes.
Jeune Afrique : Y a-t-il une volonté, au Nigeria, de prendre à bras-le-corps les problèmes d’urbanisme ?
Giles Omezi : Oui, mais elle est récente. Les autorités s’y attaquent vraiment depuis le milieu des années 2000, même si des projets étaient dans les cartons depuis très longtemps. La plupart des plans d’urbanisme actuels, à Lagos, Port Harcourt, Benin City ou encore Kaduna, datent des années 1970. C’est dire le retard du pays en la matière.
Les habitants ont-ils leur mot à dire sur les politiques mises en place dans leurs villes ?
Pas vraiment. Les plans urbains sont élaborés de manière centralisée, ce qui offre l’avantage de déterminer des objectifs clairs et permet la participation du secteur privé. Les populations ne sont pas les émettrices des idées sur les évolutions de leur ville, même si, parfois, les associations professionnelles influentes sont consultées sur certains projets, comme c’est le cas à Lagos avec les corporations commerçantes pour les aménagements de marchés, ou avec les transporteurs routiers pour des projets de transport urbain. Les autorités sont contraintes de composer avec ces organisations car elles ont la capacité de bloquer la ville !
Lagos, qui sera en 2015 la ville la plus peuplée d’Afrique avec plus de 12,5 millions d’habitants, ses embouteillages interminables et sa criminalité légendaire, paraît indomptable…
La taille de notre capitale économique alimente tous les fantasmes, c’est vrai. Ceux qui connaissent mal la ville disent qu’elle est indomptable, qu’elle broie ses habitants, qu’il faut tout raser pour tout reconstruire. Au contraire, je crois que l’énergie qui se dégage de cette ville peut être utilisée positivement et qu’il faut tirer parti des fortes identités de chacun de ses quartiers. Victoria Island est le territoire de la bourgeoisie et des affaires. Y habiter est une preuve de réussite sociale, et les boutiques de luxe y prospèrent. Les habitants d’Ikeja, où résidait Fela Kuti, fondateur de l’afrobeat, sont, eux, fiers de leur tradition contestataire et festive. Quant à la banlieue de Lekki, elle est devenue une zone pour la classe moyenne, avec de nombreuses créations d’entreprises. Il faut encourager une économie locale à l’échelle de chacun des quartiers, notamment pour limiter les embouteillages, véritable casse-tête à Lagos. Mais je crois qu’on peut être optimiste sur l’avenir de cette mégapole.
Parmi les villes nigérianes, Abuja, au centre du pays, capitale politique du pays depuis 1992, est un cas particulier…
Oui, son urbanisation diffère des autres car elle a été construite ex-nihilo, sur des terres solides au centre du pays, où aucune ville n’existait auparavant. À la différence des cités anciennes, lagunaires et marécageuses comme Lagos, où le coût des fondations et de la maintenance des bâtiments est élevé, construire à Abuja est moins onéreux, et surtout l’urbanisation y a été pensée.
Les projets urbains sont extrêmement coûteux… Comment les financer ?
Dans les années 1970, les excédents pétroliers permettaient à l’État de se payer des infrastructures urbaines et de les maintenir, mais aujourd’hui les autorités n’ont plus les moyens de tout prendre en charge. Il leur faut nécessairement impliquer les acteurs du secteur privé, même si, pour les routes, les transports en commun et le logement social, un engagement fort des pouvoirs publics sera toujours nécessaire, à la différence des projets autoroutiers et de certains programmes immobiliers, comme l’autoroute Lagos-Lekki et le projet résidentiel Eko Atlantic, situé sur Virginia Island.
Pour le logement, justement, quels sont les partenariats public-privé qui fonctionnent ?
Dans les grandes villes, les municipalités n’ont pas de problème à trouver des sociétés privées pour les programmes destinés aux classes moyenne et supérieure : les maisons de 20 millions à 30 millions de nairas [de 90 000 à 135 000 euros, NDLR] trouvent facilement preneurs à Lagos. En revanche, les investisseurs ne se bousculent pas au portillon pour la construction de logements à destination des foyers à revenus modestes, d’un prix autour de 5 millions de nairas. Je n’ai pas vu un seul programme de logements sociaux qui ait véritablement fonctionné au Nigeria… L’impulsion du secteur public est essentielle sur ce créneau.
Les programmes immobiliers sont-ils mieux encadrés qu’avant ?
Oui, la réglementation est beaucoup plus stricte aujourd’hui, non pas sur le plan esthétique, mais sur les plans sanitaire et urbanistique, pour éviter la construction de logements mal conçus, et pour que les bâtiments s’insèrent mieux sur des réseaux d’eau et d’électricité existants. C’est une évolution positive.
Peut-on parler de l’émergence d’un style architectural africain ?
En Afrique subsaharienne, on ne peut pas dire qu’il y ait une esthétique moderne véritablement locale qui émerge. À Lagos, par exemple, le design des bâtiments évolue en fonction des contraintes climatiques et urbaines ; c’est une architecture pragmatique, il n’y a pas de style propre à la ville. Ce que veulent les Nigérians propriétaires, c’est afficher leur statut social. Ce qui plaît, ce sont les villas avec un look pseudo-méditerranéen, doté, bien entendu, d’un système d’air conditionné très puissant, et donc très onéreux ! Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir en matière d’urbanisme, mais je suis optimiste, les villes africaines bouillonnent de bonnes idées, il faut savoir les saisir !
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Propos recueillis par Christophe Le Bec.
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