Pouvoir d’achat : l’inflation m’a « tuer »

Alors que les revenus des ménages africains progressent peu, les prix des denrées alimentaires grimpent progressivement, retrouvant ou dépassant leur niveau de 2008. Une tendance amplifiée par la remontée des cours du pétrole et qui affecte aussi les factures d’eau, d’électricité et de gaz.

Depuis les émeutes de la faim, le prix des légumes a doublé. © AFP

Depuis les émeutes de la faim, le prix des légumes a doublé. © AFP

ProfilAuteur_MichaelPauron

Publié le 9 mai 2011 Lecture : 4 minutes.

Les institutions internationales sont unanimes : à part les incertitudes liées à la dette publique européenne et américaine, l’économie mondiale se porte mieux. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit en 2011 une croissance de 5,5 % en Afrique subsaharienne et de 4,1 % en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Réjouissant ? Pas pour tout le monde. Car l’inflation fait aussi son grand retour.

Le spectre d’un taux à deux chiffres, qui avait submergé les économies occidentales dans les années 1970, est même évoqué. Conséquence : « La hausse des prix des denrées alimentaires et des matières premières constitue une menace pour les ménages pauvres et accentue les tensions sociales et économiques », prévient le FMI. Des millions d’Africains – les foyers dépensent jusqu’à 70 % de leur revenu pour se nourrir – voient leur pouvoir d’achat se dégrader de jour en jour, tout particulièrement dans les villes.

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Marianne Diop, 71 ans, veuve et infirmière à la retraite, vit avec ses enfants et petits-enfants (une dizaine de personnes) dans la maison familiale, à Dakar. « Dans le quartier [Sicap, NDLR], certains ne peuvent même plus acheter de petits sachets de lait en poudre, c’est devenu trop cher. Pareil pour le sucre », témoigne-t-elle. Depuis 2008 et les émeutes de la faim, le prix des légumes a doublé, tandis que celui du riz a grimpé de plus de 30 % et que celui du kilo d’oignons s’est envolé de 120 %. Pas un pays du continent n’échappe au phénomène. Rien qu’en 2010, les légumes frais ont augmenté de 18,8 % au Bénin, de 8,2 % en Guinée-Bissau, de 10,4 % au Mali, de 15,4 % au Niger, de 10 % au Sénégal, de 20 % en Côte d’Ivoire et de 30 % à 40 % en Tunisie.

Dépréciation

L’indice des prix alimentaires de la Banque mondiale a presque rejoint en février 2011 son niveau de 2008. Mohamed Benkaddour, président de la Confédération des associations de consommateurs au Maroc, est formel : « Le panier a augmenté de 20 % ces derniers mois. Et si les salariés du public voient leur pouvoir d’achat s’améliorer avec une hausse de leur traitement de 600 dirhams [53 euros], celui des salariés du privé [dont le salaire moyen est de 2 110 dirhams] diminue de manière continue. » À Conakry, même si la dépréciation du franc guinéen a beaucoup joué (1 euro s’échangeait contre moins de 4 500 francs guinéens en juin 2007, il en vaut aujourd’hui près de 9 500), les prix des bananes, des oignons, des tomates ou encore du pain ont doublé en un an.

Premier responsable : le prix du baril de pétrole brut, qui ne cesse de remonter pour atteindre (à New York, WTI) plus de 112 dollars (environ 76 euros) fin avril, contre 86 un an auparavant (et plus de 147 dollars en juillet 2008, son record historique). Avec pour conséquence directe l’envolée des coûts du transport et des prix de l’énergie (gaz propane et électricité). Autre facteur, la croissance de la demande mondiale de matières premières (tirée par la forte reprise des pays émergents) pousse les cours vers les sommets : le maïs a augmenté de plus de 66 % en un an, quand le sucre a progressé de 32 % – tendance accentuée par une chute de la production brésilienne et la demande croissante de biocarburant à base de canne à sucre. Mais ce ne sont pas là les seules causes. Selon Momar Ndao, du Conseil économique et social sénégalais, « les intermédiaires augmentent leurs marges et ne jouent pas le jeu. Quand une denrée importée augmente de 1 à l’étranger, elle augmente de 5 à 10 ici ».

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Contrairement à 2008, la hausse n’est pas brutale, mais continue. Les foyers s’en accommodent au jour le jour. « Les ménages consacrent toujours le même budget à l’alimentation, mais rognent sur la qualité, avant de réduire la quantité. En plus, tout l’argent est accaparé par les problèmes d’électricité », relève Momar Ndao.

Instabilité

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Les troubles politiques et sociaux en Afrique du Nord et en Côte d’Ivoire sont venus renforcer la pression. En Égypte, l’inflation touchant les produits alimentaires a dépassé 10 %. À Tunis, c’est la débrouille pour boucler les fins de mois. Hasna préfère ainsi se passer d’un vrai repas le soir : « Avec ma fille, désormais, un yaourt et un fruit suffisent. On a du mal à croire que l’inflation est moindre que l’an dernier [officiellement 3,1 % au premier trimestre, contre 4,9 % sur la même période en 2010] : non seulement les aliments de base ont augmenté mais les factures aussi. Les prix de l’électricité et du gaz ont été multipliés par trois ! » « Le prix à la pompe a augmenté avec la crise libyenne, explique Jalloul Ayed, le ministre tunisien des Finances. Le risque inflationniste existe, mais le gouvernement a pris sur lui et je ne pense pas que ce risque se matérialisera dans un avenir proche. Tout dépendra de comment l’économie se comportera dans les mois à venir. »

Un discours rassurant qui tranche avec le sentiment des foyers. Car le chiffre officiel de l’inflation est modéré par la baisse de certains produits, notamment électroménagers et de communication (ordinateurs, téléphones…). Au Niger par exemple, le taux affiché a été de 0,9 % en 2010. Mais à y regarder de plus près, le prix des produits locaux a augmenté de 4,2 %, quand celui des biens importés (électroménager…) a baissé de 3 %. Toujours est-il que la tendance haussière risque de perdurer, voire de s’aggraver. Outre les risques politiques qui se font déjà sentir (de violentes manifestations ont lieu depuis plusieurs semaines en Ouganda), une inflation sur le long terme pourrait impacter la croissance en faisant chuter la consommation, l’un de ses moteurs principaux. 

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