Inquisition à la chinoise

Dans la République populaire, catholiques et protestants croissent et se multiplient à un rythme… infernal. Pris au dépourvu, le régime tente de réagir. Par tous les moyens.

Fidèles de l’Église Shouwang, congrégation frappée par la répression. © Reuters

Fidèles de l’Église Shouwang, congrégation frappée par la répression. © Reuters

Publié le 9 mai 2011 Lecture : 5 minutes.

C’est l’histoire d’une Chine à deux visages. D’un côté, des Églises – catholique ou protestantes – souriantes, officielles et subventionnées par l’État. Des Églises dont les prêtres sont nommés par le Parti, les évêques adoubés par le gouvernement central et les pasteurs étroitement contrôlés. Des Églises qui apaisent les cœurs de 21 millions de fidèles (5 millions de catholiques et 16 millions de protestants), mais ne dérange pas les âmes. De l’autre, hors des chemins spirituels balisés par le pouvoir, l’image est moins idyllique. Les héritiers des catacombes romaines vivent et pratiquent leur religion dans la clandestinité, refusant d’être assujettis au Parti. On estime leur nombre à environ 60 millions : 10 millions de catholiques et 50 millions de protestants.

L’église Shouwang est l’un de ces lieux de culte cachés. Jusqu’à tout récemment, cette congrégation protestante « souterraine », l’une des plus importantes de la capitale, se réunissait dans un local vétuste. On y parlait peu – prudence oblige –, mais on y priait beaucoup. « Nous voulons vivre notre foi librement, explique une habituée des lieux. À l’inverse, l’Église patriotique, c’est un peu comme le Parti communiste. On n’y discute pas de la signification des textes sacrés, c’est interdit. » Les autorités ayant brutalement décidé de mettre un terme à ces offices clandestins, la congrégation a été expulsée et a alors tenté de célébrer des offices en plein air. Inacceptable pour le gouvernement, qui, le 10 avril, a appréhendé près de 170 fidèles, et, selon l’association de défense des droits de l’homme China Aid, emprisonné le pasteur Jin Tianming, le 16, empêchant ainsi la célébration des Rameaux, puis l’a relâché le lendemain.

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Dissidence

L’offensive contre l’Église Shouwang est le dernier épisode d’une vague de répression déclenchée en décembre 2010 avec l’arrestation d’une centaine de croyants, catholiques et protestants mêlés. Une trentaine de religieux, dont six évêques, seraient toujours incarcérés. Des opérations qui rappellent la lutte menée par Pékin, au début des années 2000, contre la secte Falungong. Un mouvement qualifié de culte satanique, dont des milliers de membres continuent de croupir en prison.

« Il y a un raidissement. Le gouvernement tente d’éradiquer l’Église clandestine, estime le père Guillaume Arotçarena, des Missions étrangères, à Paris. Il ne supporte pas que les mouvements religieux aient une parole autonome en matière économique, sociale ou politique. » « Les autorités veulent empêcher qu’une Église catholique réunifiée devienne un foyer d’opposition », confirme le sinologue Jean-Pierre Cabestan.

Les congrégations de l’ombre sont en effet des soutiens affichés de la dissidence chinoise. La moitié des 303 premiers signataires de la Charte 08, qui appelait à des réformes politiques et démocratiques et valut la prison au Prix Nobel de la paix Liu Xiaobo, seraient catholiques. « Les chrétiens ont soif de justice et cela a bien sûr un impact sur la société civile. La justice, c’est ce dont nous manquons le plus », explique un pasteur clandestin. Un discours qui flirte avec la politique et qui, forcément, passe mal du côté du parti unique.

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Cultes « importés », le catholicisme et le protestantisme sont particulièrement surveillés car les autorités redoutent leur influence libérale et, surtout, les liens qu’ils entretiennent avec l’étranger. Elles voient ainsi la main des États-Unis derrière le bourgeonnement des mouvements évangéliques, que la presse officielle accuse régulièrement d’être financés par des mouvements sectaires américains.

Du côté catholique, c’est évidemment le Vatican qui est montré du doigt. Les relations diplomatiques entre la Chine et le Saint-Siège sont rompues depuis que celui-ci a reconnu officiellement Taiwan, en 1951. À l’époque, son ambassadeur avait trouvé refuge dans l’île après avoir été expulsé par Pékin. En 1957, cette rupture a été entérinée avec la création par le régime communiste de l’Église patriotique de Chine.

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Depuis, les périodes de tension et d’apaisement se succèdent au rythme des ordinations concurrentes d’évêques par Rome et Pékin. Dernier épisode en date : l’ordination épiscopale, fin novembre 2010, du père Guo Jincai dans la ville de Chengde (nord du pays). Une ordination « illégale et nuisible aux relations constructives qui ont été nouées récemment » entre les deux parties, a déclaré le porte-parole du Vatican. C’était en effet la première fois depuis quatre ans qu’un évêque était ordonné sans le feu vert papal.

La crispation a atteint son apogée une dizaine de jours plus tard : le 1er décembre, le pape Benoît XVI a lancé un appel en faveur de l’Église de Chine, qui « vit des moments particulièrement difficiles ». Au même moment, Pékin préparait « son » conclave, l’Assemblée des représentants catholiques officiels. Positions totalement inconciliables, la messe était dite.

Terre d’évangélisation

Malgré ce contexte tendu, le christianisme est, en Chine, en plein essor. « Ce pays a soif de spiritualité, souligne le professeur Li Tianming, du département de théories religieuses de l’université de Renmin. En une génération, un demi-milliard de ses habitants sont passés de la pauvreté à l’abondance. Ils habitent dans des villes immenses et peuvent connaître un sentiment de vacuité. Le communisme a détruit une grande partie de la société traditionnelle et des valeurs confucianistes. Aujourd’hui, les religions prennent leur revanche. » Selon le professeur, la Chine est « une terre d’évangélisation ». De fait, on estime que dix mille Chinois se convertissent chaque jour. À ce rythme, la République populaire pourrait « devenir le plus grand pays chrétien au monde, avec, peut-être, 200 millions de croyants d’ici au milieu du siècle ».

Au cœur du quartier commerçant de Pékin, à une encablure de la place Tiananmen, l’église Saint-Joseph de Wangfujing est effectivement toujours bondée. Chaque week-end, plusieurs messes y sont célébrées. Le plus souvent, les fidèles sont contraints d’y faire la queue, voire de prier à l’extérieur. Le prêtre a été nommé par le Parti communiste, ses prêches sont relus et validés.

Il règne en ce lieu de culte, surnommé la « cathédrale de l’Est », des airs de kermesse. On y joue avec son téléphone portable, on y emmène les enfants pour prier en famille… « C’est tellement agréable de venir à l’église, raconte une jeune femme. C’est calme, reposant. On peut méditer sur sa vie et demander des conseils. » Pour ces fidèles, le sociologue chinois Liu Xiaofang a inventé le terme de « chrétiens culturels », sympathisants mais peu pratiquants. Ils sont sensibles à l’aspect moderne de cette religion venue de l’extérieur. Une religion teintée d’exotisme dans ce pays où bouddhisme et taoïsme règnent depuis des siècles. Mais lorsqu’on les interroge sur les catholiques réprimés et sur le pape, ils tournent les talons. « On ne fait pas de politique ici », répondent les fidèles de Saint-Joseph de Wangfujing. Un rêve de parti unique. 

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