Syrie : Rami Makhlouf, un cousin pas assez éloigné

Businessman à l’appétit insatiable, Rami Makhlouf incarne la concentration des pouvoirs politique et économique entre les mains de la famille Assad.

Publié le 9 mai 2011 Lecture : 4 minutes.

En décernant à Rami Makhlouf un prix pour son leadership visionnaire et sa contribution à l’économie syrienne au début de l’année, le magazine londonien World Finance avait présenté cet homme d’affaires de 41 ans comme emblématique des changements positifs survenus dans son pays. Mais au moment où les manifestations prodémocratiques redoublent d’ampleur en Syrie, le cousin germain maternel du président Bachar al-Assad semble incarner une autre sorte de symbole.

L’homme d’affaires le plus puissant du pays est en effet devenu la cible privilégiée de la colère populaire et de tous ceux qui dénoncent la concentration des pouvoirs économique et politique entre les mains de la famille Assad. « Makhlouf voleur ! » ont scandé des dizaines de manifestants lors de récentes marches dans la ville méridionale de Deraa.

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« Initié »

Fils du précédent chef de la Garde républicaine, Rami Makhlouf a la haute main sur pas moins de 60 % de l’économie du pays via un réseau complexe de sociétés. Son empire industriel s’étend des télécommunications au commerce de détail, en passant par les hydrocarbures, la banque et le transport aérien. Il possède même plusieurs écoles privées. Selon des banquiers et des économistes, une telle concentration de pouvoirs empêche pratiquement tout investisseur étranger de faire des affaires dans le pays sans son aval.

Le Trésor américain, qui avait pris des sanctions contre Makhlouf en 2008, interdisant aux personnes physiques et morales américaines de traiter avec lui, le qualifiait alors de « puissant homme d’affaires syrien qui a bâti son empire en exploitant ses relations avec des membres du régime », le décrivant, en outre, comme un initié du système ayant « bénéficié de la corruption de l’administration et l’ayant favorisée ». Makhlouf n’a pas répondu aux courriels répétés du Financial Times à ce propos. Après l’adoption des sanctions américaines, il avait déclaré à Reuters : « Je devrais remercier George W. Bush [alors président, NDLR] : les sanctions ont accru mon soutien en Syrie. Je ne suis pas un homme d’affaires hors la loi. »

Les analystes soulignent que, en diversifiant leurs activités jusqu’à la petite entreprise, Makhlouf et ses proches ont attisé le mécontentement du monde des affaires et terni l’image du régime. Selon un expert, le ressentiment provoqué par l’influence économique de la famille s’est amplifié depuis que Bachar a succédé à son père, en 2000. Sous le règne de Hafez, le butin était plus largement réparti entre divers groupes liés économiquement au régime et bénéficiant de ses faveurs. « Aujourd’hui, c’est devenu une affaire exclusivement familiale et le cercle s’est restreint », explique ce même expert.

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Makhlouf a fondé son principal holding en 2006, quand le gouvernement cherchait à libéraliser l’économie par la création de « champions » du secteur privé. Lancé avec 250 millions d’euros de capital, Cham est devenu le groupe le plus important du pays, actif dans de nombreux secteurs. Sa filiale Bena gère la branche hôtellerie et immobilier, Cham Capital Group se charge des volets finance, banque et assurance de l’empire, et la société Sana s’occupe du secteur de l’énergie et de la production d’électricité. Le groupe Cham opère également dans la santé, l’éducation, le commerce détaxé, et a récemment obtenu une licence d’exploitation pour Pearl Airlines, un nouveau transporteur privé.

Mais Makhlouf a réalisé son investissement le plus spectaculaire dans le réseau de téléphonie mobile Syriatel, dont il est vice-président. En 2000, le gouvernement avait accordé une concession BOT (Build, Operate, Transfer) de quinze ans à Syriatel, détenu à 25 % par l’égyptien Orascom Telecom et à 75 % par Drex Technologies, une entreprise de Makhlouf enregistrée aux îles Vierges. Orascom, qui avait accepté d’assumer 50 % des coûts de démarrage, était responsable de la gestion technique de la licence. Un an plus tard, un violent conflit a éclaté entre les deux partenaires, Orascom accusant Makhlouf de « tenter continuellement » de prendre le contrôle de Syriatel. Le différend a finalement été réglé en 2003 après quinze mois de bataille juridique, Orascom acceptant de céder sa participation en échange du remboursement de son investissement initial et des frais de fonctionnement.

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Accès préférentiel

« Makhlouf attend des sociétés qu’elles offrent un festin, mais ne leur permet que de goûter à la soupe », analyse un proche du dossier. Certains avancent que les nombreuses coentreprises constituées par Cham ont vraisemblablement assuré à Makhlouf un accès préférentiel aux marchés publics d’infrastructures. Mais le groupe n’a cessé de marteler qu’il agissait conformément aux règles. En 2009, lors d’une conférence sur le partenariat public-privé en Syrie, Mahmoud al-Khoshman, directeur général de Marafeq et Sana – deux filiales de Cham –, avait déclaré que les projets public-privé ne réussiraient que s’ils étaient fondés sur les critères d’honnêteté et d’intégrité les plus élevés. « Le gouvernement devrait traiter tous les entrepreneurs et investisseurs sur le même plan », avait-il affirmé.

Pourtant, les récents troubles ont incité certains à jeter un autre regard sur Makhlouf et son empire. World Finance a récemment déclaré que, à la lumière des derniers événements en Syrie, il convenait désormais de « tenir compte d’un agenda politique plus large ». Aussi a-t-il décidé de reconsidérer les distinctions accordées à Rami Makhlouf et à d’autres personnalités syriennes éminentes. 

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Financial Times et Jeune Afrique 2011

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