Burkina Faso : carton jaune pour Compaoré

Soulèvements dans l’armée, montée des revendications sociales : le président burkinabè a fort à faire. Le début de la fin pour Blaise Compaoré, 60 ans dont 24 à la tête de l’État ? Voire. Mais lui reste serein.

Comme en 1999, en 2006 ou en 2007, l’armée pose des problèmes à Blaise Compaoré. © Ahmed Ouoba / AFP

Comme en 1999, en 2006 ou en 2007, l’armée pose des problèmes à Blaise Compaoré. © Ahmed Ouoba / AFP

Publié le 9 mai 2011 Lecture : 7 minutes.

Soudain, des tirs se font entendre. Il est aux alentours de 22 heures, ce jeudi 14 avril, quand Blaise Compaoré est surpris chez lui par des détonations ressemblant à des tirs de kalachnikov. Surpris, surtout, par leur proximité évidente. Le président se trouve dans sa résidence officielle, située dans l’enceinte du palais de Kosyam, au fin fond de Ouaga 2000, là où les nouveaux riches rivalisent dans l’art de se faire construire des châteaux forts.

Kosyam est bien plus que cela. La citadelle, édifiée à l’écart de toute autre construction, est imprenable. Elle est défendue par le Régiment de la sécurité présidentielle (RSP), de loin le mieux équipé de toute l’armée burkinabè. Le mieux fourni aussi : ses éléments sont considérés comme étant les meilleurs des 12 000 hommes que compte la Grande Muette. Celui qui est censé être le plus fidèle, enfin : le RSP représente un corps autonome dans l’armée, il est dirigé par le chef d’état-major particulier du président, le plus ancien de ses compagnons, acteur majeur du coup d’État de 1987, Gilbert Diendéré. Ses hommes sont les mieux payés de l’armée, à tel point que les autres soldats en viennent parfois à les jalouser.

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Et pourtant… Ce soir-là, Compaoré vient aux nouvelles : c’est bien au sein du RSP que la mutinerie a éclaté. Le matin même, les hommes de la garde présidentielle ont reçu leur fiche de paie. Aucune mention n’est faite d’une prime qui leur avait été promise. Une question de temps et d’étapes administratives qui échappe aux soldats, explique l’entourage du président. Comme lors de la première mutinerie, le 22 mars, les jeunes recrues (une soixantaine) issues des promotions 2008-2009 expriment leur mécontentement… à leur manière : tirs de kalach et de lance-roquette, d’abord dans l’enceinte présidentielle, durant près de deux heures, puis dans toute la ville ; incendie de la maison de leur chef, Gilbert Diendéré ; pillages, viols… Le calme ne reviendra que dans la matinée dans la capitale, après que des éléments des deux autres camps de la ville se seront joints à eux.

Face à ce déchaînement de violence, le président refuse d’envoyer les unités d’élite « mater » les rebelles. Lors de la première mutinerie, fin mars, Compaoré s’y était déjà opposé, alors que l’état-major l’envisageait. « Nous sommes dans l’apprentissage de la démocratie, avait-il affirmé à un conseiller qui ne comprenait pas sa décision. Ce que nous vivons là, ce sont les conséquences de cet apprentissage. Nous devons éviter tout retour en arrière. » Le 14 avril, il tient les mêmes propos. « Il a voulu éviter tout affrontement qui aurait pu aboutir à un bain de sang », affirme un de ses conseillers.

Le voyage de Ziniaré

Le président a-t-il craint pour sa vie ? « Jamais ! rétorque ce conseiller, presque choqué par la question. Les mutins n’ont pas voulu s’en prendre à lui. Ils ont toujours tiré en l’air. » Comme lors de la première mutinerie, ce n’est en effet pas le président qui est visé, mais les supérieurs hiérarchiques. Un militaire mécontent rencontré début avril dans la capitale nous l’avait confirmé : « Nous ne reprochons rien au président. Nous lui faisons toujours confiance. Le problème, c’est les gens au-dessous de lui. »

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Pourquoi, alors, avoir fui dans son village natal, Ziniaré, situé à une demi-heure de Ouagadougou ? « Il n’a pas fui. Il est d’abord resté à Kosyam. Puis, dans la nuit, il a décidé d’aller rassurer sa famille », assure le même conseiller. Depuis quelques jours, Compaoré avait fait venir au Burkina sa belle-famille, qui vit en Côte d’Ivoire et dont la maison à Abidjan aurait été pillée par les milices pro-Gbagbo. « Il y a passé quelques minutes avant de revenir au palais », affirme un proche. Une thèse à laquelle ne croit pas l’opposition, qui veut y voir un acte de lâcheté alors que les habitants de la capitale étaient terrorisés par les mutins.

Au sein du parti présidentiel, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), dont le siège a été incendié le 16 avril par des commerçants ulcérés par les pillages des soldats, certains reconnaissent que le président « a senti le vent du boulet passer très près ». Au lendemain de cette nouvelle mutinerie, il a d’ailleurs tranché dans le vif en dissolvant le gouvernement de Tertius Zongo et en remplaçant toute la chaîne de commandement de l’armée, du chef d’état-major général au chef de corps du RSP, en passant par les chefs d’état-major de l’armée de terre, de l’armée de l’air et de la gendarmerie – seul Gilbert Diendéré, incontournable, a gardé son poste… Mais dans l’entourage du président, on se veut moins alarmiste. « Ces changements, il les avait décidés avant, à l’issue des consultations qu’il avait menées ces dernières semaines. Les événements du 14 avril n’ont fait qu’accélérer les choses. »

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Fusillade

Le président est toujours resté calme, jurent ses proches, qui rappellent que, le 15 avril, il n’a pas modifié son programme – il a notamment reçu un ministre norvégien à Kosyam. « Je l’ai trouvé serein, souriant même », témoigne un visiteur reçu au palais trois jours après la rébellion du RSP. Serait-il à ce point aveugle ? « Non, il est clairvoyant », rétorque un cadre du CDP.

Ce n’est pas une révolution, sire, lui ont assuré ses conseillers au plus fort de la fusillade, ce n’est pas non plus une révolte, ni même une mutinerie. C’est juste « une manifestation pour des revendications corporatistes », selon les mots d’un des membres de son cabinet. Une de plus, dans une crise que l’on croit, à Kosyam, passagère, et que l’on explique par les difficultés économiques liées à la crise ivoirienne et par l’activisme « historique » des syndicats burkinabè.

Il faut dire que ce n’est pas le premier soubresaut de ce type auquel Compaoré doit faire face. Des mutineries, il en a affronté : en 1999, en 2006 et en 2007 – à chaque fois pour des motifs différents. Des tensions sociales aussi. En 1999 déjà, le régime avait vacillé après l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. Face aux manifestations, le président s’était engagé à réformer les institutions. Selon le politologue Augustin Loada, directeur du Centre pour la gouvernance démocratique, la crise actuelle ressemble fort à celle d’il y a douze ans. Même facteur déclencheur – la mort d’un homme dans des conditions suspectes, Norbert Zongo en 1998, Justin Zongo (aucun lien de parenté) en 2011. Même point de départ de la contestation – la région de Koudougou. Même timing aussi : en novembre 1998, Compaoré avait été réélu confortablement dès le premier tour ; deux mois plus tard, la colère éclatait.

Cette fois, les premières manifestations ont eu lieu le 22 février, trois mois après sa réélection avec plus de 80 % des suffrages. Elles n’ont cessé depuis. Le 27 avril, des commerçants et des étudiants ont incendié le domicile du maire de Koudougou. Le 28 avril, des policiers sont sortis de leurs casernes et ont tiré en l’air à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. « C’est logique, estime Augustin Loada, cela fait plusieurs années que les Burkinabè s’expriment sur le mode de la révolte, le régime ayant verrouillé tous les moyens d’expression institutionnels. »

En 1999, le politologue parlait de la « crise la plus grave que le président ait jamais eu à affronter ». Aujourd’hui, il estime que les contestations actuelles sont plus menaçantes encore : « La nouveauté, c’est que l’armée y participe. » Et même la police, pourrait-on ajouter. Peut-on parler du début du déclin pour Compaoré, vingt-quatre ans après sa prise de pouvoir ? Beaucoup y croient : les opposants bien sûr, quoique dépassés par l’ampleur des manifestations, mais aussi des observateurs étrangers, qui notent que les langues se délient, et même des cadres du CDP.

L’un d’eux, Ablassé Ouédraogo, ancien ministre des Affaires étrangères en rupture de ban, effectuait récemment une comparaison osée : « Compaoré est arrivé au pouvoir en 1987. Comme Ben Ali. Tous deux ont œuvré au développement de leur pays. Mais tous deux ont aussi péché. Il y a des similitudes entre les deux régimes : la montée des inégalités et de la corruption ; le sentiment d’injustice ; le poids, dans les affaires, de la famille du président… » Ce dernier point fait l’objet de nombreux tracts distribués à Ouagadougou. « Les Burkinabè en parlent énormément entre eux. Ça les révolte », assure le chef de file de l’opposition, Bénéwendé Sankara.

Sans grades

L’entourage de Blaise Compaoré, qui a promis des mesures pour calmer les esprits, reste confiant. « Pour l’heure, les revendications restent corporatistes », estime un conseiller. Le président sait en outre que les bases sur lesquelles repose son régime sont solides. La première d’entre elles, l’armée, lui reste fidèle. Comme le rappelle un colonel, on ne comptait aucun sous-officier – et encore moins d’officier – parmi les mutins. Tous étaient des sans-grades, qui, même s’ils ont accès aux armes, n’ont ni les moyens ni l’envie de renverser le régime. « La hiérarchie militaire reste unie derrière le président », estime un spécialiste des questions militaires.

Ses conseillers reconnaissent toutefois que « la crise a mis en lumière certaines défaillances », notamment au niveau du renseignement. Mais selon un ancien ministre, le problème vient surtout de son entourage, « constitué de courtisans qui l’éloignent de la réalité ». L’optimisme de certains conseillers, qui ne veulent voir que les réussites du président ou qui affirment que « la vie chère est toute relative », frise l’aveuglement. La qualité première de Compaoré, expliquait récemment un de ses proches, « c’est l’art d’anticiper les événements ». Pas cette fois-ci.

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