Attentat de Marrakech : terrorisme contre démocratie au Maroc

Confronté aux aspirations de la jeunesse marocaine et au printemps arabe, le roi du Maroc Mohammed VI avait promis, en mars, une vaste réforme constitutionnelle. L’attentat de Marrakech va-t-il affecter ce processus ?

Le café-restaurant Argana, peu après l’explosion. © Mohamed Smyej pour J.A.

Le café-restaurant Argana, peu après l’explosion. © Mohamed Smyej pour J.A.

Publié le 5 mai 2011 Lecture : 3 minutes.

À peine refermées les plaies des attentats-suicides du 16 mai 2003 et fait le deuil de ses quarante-trois victimes (dont douze kamikazes), l’appareil sécuritaire marocain est, de nouveau, confronté à une obligation de résultat. À charge, pour lui, de répondre à cette question aussi cruciale que lancinante : qui a osé défier, le 28 avril sur la place Jemaa el-Fna, le processus de démocratisation engagé depuis 1999 et relancé, au Maghreb, par la révolution tunisienne ?

Qui a osé s’attaquer à Marrakech, capitale du tourisme marocain et navire amiral du plan stratégique de développement initié par le roi pour entrer dans le IIIe millénaire ? Qui a voulu tuer des ressortissants étrangers, majoritairement français, et s’en prendre aveuglément à des enfants ? Le bilan définitif fait état de seize morts, dont 13 étrangers parmi lesquels huit Français.

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Les autorités marocaines ont immédiatement compris quels étaient les enjeux de cette provocation criminelle. Personnellement interpellé par ce défi terroriste, le roi Mohammed VI a promis de mobiliser tous les acteurs sécuritaires du pays. Plusieurs ministres (Intérieur, Justice, Tourisme) se sont rendus sur les lieux pour exprimer leur compassion et afficher leur désir de transparence.

"Crime barbare"

La Mosquée de Paris a exprimé son indignation devant « un crime aussi horrible que barbare » et sa crainte qu’un tel acte, destiné « à affaiblir le royaume chérifien », ne se reproduise. Alger a également fait part de son émotion, à l’instar des alliés occidentaux du Maroc, au premier rang desquels, bien sûr, la France. Par la voix de Hillary Clinton, leur secrétaire d’État, les États-Unis ont proposé leur assistance logistique et technique pour ce qui constitue aussi une affaire de dimension internationale.

Car le spectre du terrorisme hante la capitale du Haouz. Les précédents « attentats de Marrakech » (qui avaient causé la mort de deux ressortissants espagnols, en août 1994) avaient officiellement provoqué la fermeture des frontières terrestres avec l’Algérie – pays où, selon des sources diplomatiques, aurait été localisé Abderrahmane al-Maghribi, présenté par les agences de renseignements comme un des membres opérationnels d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Ledit Maghribi est par ailleurs considéré comme l’auteur de menaces explicites contre le Maroc, formulées quarante-huit heures avant le drame du café Argana.

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Victime collatérale

Acte isolé ? Règlement de comptes interne ? Les enquêteurs mandatés par le souverain chérifien ne devront exclure aucune piste, y compris libyenne – alors que la France intervient militairement contre le régime Kadhafi.

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Cet attentat survient par ailleurs au moment où s’engage le processus d’ouverture annoncé par Mohammed VI dans son discours du 9 mars, et destiné à lever par étapes les obstacles à la démocratisation du royaume. L’ambitieuse réforme constitutionnelle promise par le souverain et demandée par la jeunesse, qui tente de se fédérer dans la galaxie du « mouvement du 20 février », est désormais soumise à un véritable défi. Celui de l’action. Dirigé par Abbas El Fassi, l’actuel gouvernement, qui tentait laborieusement d’accompagner la marche du printemps arabe, risque d’être la première victime collatérale du bain de sang de la place Jemaa el-Fna. Car le traumatisme que subit aujourd’hui le Maroc et la nécessité de redoubler de vigilance en matière de sécurité risquent de peser lourdement sur un débat politique déjà en pleine effervescence.

L’explosion du café Argana affecte directement la puissante mouvance islamiste, dont l’un des principaux acteurs identifiés est l’association Al Adl Wal Ihsane, qui négociait, jusque-là habilement, son enracinement dans le jeu politique. L’association d’Abdessalam Yassine s’est d’ailleurs empressée, elle aussi, de condamner l’attentat. Un crime commis seulement deux semaines après l’élargissement, par grâce royale, d’une centaine de militants islamistes, principalement salafistes.

Personnalité la plus emblématique de « la bande des graciés » : le prédicateur Mohamed Fizazi, dont la seule mention sur un site internet suffit à attirer l’attention des services de renseignements. Quant aux animateurs du « mouvement du 20 février », ils seront sans doute obligés de tenir compte du sentiment d’union nationale qui s’est imposé dans les heures qui ont suivi le carnage. Les nouveaux outils de communication – les réseaux sociaux notamment – tournent déjà à plein régime pour tenter d’identifier ceux à qui profite le crime. Quelque 32 millions de citoyens choqués, traumatisés, blessés dans leur fierté nationale vont s’inviter, via internet, dans une enquête qui bouleversera les équilibres séculaires du Maroc.  

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