Kenyan Beauty

Ils ont délaissé la chirurgie reconstructrice pour la chirurgie esthétique. Formés à l’étranger, une poignée de praticiens exercent à Nairobi. Enquête sur un business très prometteur.

La chirurgie esthétique a pris le pas sur la chirurgie reconstructrice. © D.R.

La chirurgie esthétique a pris le pas sur la chirurgie reconstructrice. © D.R.

Publié le 7 mai 2011 Lecture : 4 minutes.

Se blanchir la peau, s’agrandir les lèvres, s’allonger le cou… En Afrique, les interventions esthétiques, on connaît. Jusque très récemment, les Kényans les plus aisés n’hésitaient pas à faire un saut en Europe pour se faire opérer. Mais aujourd’hui, plus besoin de sortir du pays : une poignée de chirurgiens expérimentés sont de retour à Nairobi, après quelques années de formation aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Dans la capitale kényane, on murmure qu’ils ont vite oublié leurs objectifs de départ – maîtriser les techniques de réparation de becs-de-lièvre, de greffes de peau pour les grands brûlés ou les cancers de la peau – pour se consacrer à une activité beaucoup plus lucrative : la chirurgie esthétique.

Le docteur Stanley Khainga est le secrétaire général de la Société kényane de chirurgie plastique et reconstructrice (KSPRAS). Il admet que la chirurgie esthétique connaît une expansion fulgurante et que le secteur est économiquement prometteur, mais réfute l’idée selon laquelle les médecins locaux se sont détournés de leur ambition première. Sa clinique combine chirurgie esthétique et chirurgie reconstructrice, et le docteur Khainga espère ouvrir cette année, avec certains de ses confrères, un hôpital pour grands brûlés où les praticiens officieront bénévolement. Cependant, affirme-t-il, il ne faut pas nier les évolutions en cours, liées à la fois à la mondialisation et à la hausse des revenus des Kényans. « Mes patients ne sont pas les plus riches, explique le docteur Khainga. Ce sont juste des gens qui veulent paraître et se sentir mieux… En somme, se faire plaisir ! »

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Botox

« Plus on prend de l’âge, plus on devient invisible, et cela a un impact sur notre amour-propre et notre identité, analyse le docteur Don Othoro. Les patients que je reçois veulent redevenir visibles, ils ont besoin d’aimer ce qu’ils voient dans le miroir tous les jours. » Basé à Londres, le praticien fait de fréquents séjours à Nairobi, où son enseigne, Valentis Beauty, chapeaute cinq cliniques esthétiques. Injections de Botox, peelings chimiques et remodelages se pratiquent en série chez le médecin, qui dit se contenter de révéler la beauté que chacun a en soi. « Quand une patiente de 60 ans vient pour se faire repulper les joues, il est important de lui expliquer qu’elle aura une allure fantastique pour une femme de 60 ans, pas qu’elle ressemblera à une femme de 45 ans, poursuit-il. Je ne répare pas les âges, il n’y a rien à réparer. »

Au Kenya, comme en Grande-Bretagne, les chirurgiens accordent une grande importance à la préparation psychologique de leurs patients. « Il est très important que leurs motivations soient claires, sinon il est inutile de les opérer », indique le docteur Othoro. « Je n’opérerais jamais une femme qui veut plaire à son amoureux, renchérit le docteur Khainga. Sinon, qu’est-ce qui se passe lorsqu’un nouvel amoureux arrive et qu’il veut quelque chose de différent ? »

Selon la KSPRAS, cinq chirurgiens opèrent officiellement dans la capitale kényane, sans compter les praticiens « itinérants », qui travaillent dans plusieurs pays. Quant au nombre d’opérations réalisées, impossible de les dénombrer, compte tenu du fait que les actes médicaux non invasifs peuvent être exécutés par un généraliste ou un dermatologue.

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Chez les femmes, les opérations les plus demandées sont les réductions et les remodelages de la poitrine. Il faut compter entre 750 et 2 300 dollars (entre 518 et 1 600 euros), une somme qui varie en fonction de la masse retirée et des frais d’hospitalisation. Deuxième opération la plus pratiquée, l’abdominoplastie, qui consiste à retirer la graisse accumulée sur la partie inférieure de l’abdomen et à retendre la peau.

Le coût d’une liposuccion – en troisième position – peut aller de 1 000 à 3 000 dollars. Enfin, la blépharoplastie, ou lifting des paupières, qui tourne autour de 1 000 dollars. Chez le docteur Othoro, un traitement au Botox coûte 250 dollars et doit être répété tous les trois mois. Prévoir 600 dollars pour un peeling chimique, à refaire tous les six à neuf mois, en fonction du type de peau et de l’hygiène de vie.

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Changer les mentalités

Les hommes aussi sont adeptes de la chirurgie esthétique. Pour eux, la réduction mammaire – traitée comme une liposuccion – et les repulpages – qui permettent de gommer les rides d’expression les plus profondes sur le front et autour de la bouche – sont très courants. Tout aussi demandés, les « transferts » de gras. Cela consiste à prélever de la graisse où il y en a le plus, à la passer à la centrifugeuse, puis à la réinjecter à d’autres endroits, par exemple dans les mollets ou aux chevilles. Les résultats sont si concluants que le docteur Khainga envisage de l’appliquer aux implants fessiers. D’autant qu’il vient d’acquérir une machine révolutionnaire permettant de liquéfier la graisse avant l’aspiration, ce qui préserve la fermeté de la peau et réduit les risques de flétrissement.

Alors qu’au Kenya la chirurgie esthétique est encore souvent perçue comme superficielle, les praticiens essaient de faire changer les mentalités. « Certains patients ont besoin d’un lifting des yeux parce que leur peau s’est tellement affaissée qu’elle affecte leur vision, argumente le docteur Khainga. Dans un pays comme les États-Unis, retirer plus de 600 ml de gras est couvert par les assurances, parce que les effets sur la colonne vertébrale sont clairement établis. » Des arguments qui n’ont pas encore convaincu les compagnies kényanes, qui ne prennent pas en charge ces actes médicaux. Loin de se décourager, les médecins restent persuadés qu’il est nécessaire de continuer les pressions et de travailler à une professionnalisation rapide du secteur.

« Les patients doivent pouvoir vérifier les diplômes et l’expérience de leur praticien. Une certification de l’Ordre médical et dentaire du Kenya est obligatoire », explique le docteur Khainga. Ses collègues et lui travaillent donc à l’élaboration d’un programme d’enseignement universitaire, entièrement dévolu aux peaux noires – qui guérissent et cicatrisent différemment des autres peaux, en raison de leur forte teneur en mélanine. Ce programme, une première en Afrique de l’Est, serait dispensé aux meilleurs étudiants en médecine de l’Université de Nairobi. 

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