Abdou Diouf va-t-il sauver le cinéma africain ?

Cinéaste et universitaire tunisien, historien des cinémas africains

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  • Férid Boughedir

    Férid Boughedir est un réalisateur tunisien de cinéma. Il est également critique et historien du cinéma, dirigeant de festivals et de colloques cinématographiques.

Publié le 13 avril 2011 Lecture : 3 minutes.

L’un des événements marquants du récent Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco), grand-messe des cinémas du continent, qui s’est tenu du 26 février au 5 mars 2011 au Burkina Faso, aura été l’appel solennel lancé par les cinéastes africains au secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Abdou Diouf, pour lui demander de devenir leur ambassadeur auprès de plusieurs chefs d’État africains. Et ce afin qu’ils soutiennent financièrement le projet de Fonds panafricain du cinéma, lancé en mai 2010 au Festival de Cannes, et qui repose essentiellement sur la coopération des États du continent.

Il y avait quelque chose de désespéré chez le cinéaste algérien Lyazid Khodja, représentant le Maghreb au sein de la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci), à demander ainsi, avec ses collègues subsahariens, au secrétaire général de la Francophonie – dont l’Algérie ne fait pas partie ! – d’intercéder en priorité auprès de… l’Algérie pour que son pays soit, avec le Gabon, l’un des premiers donateurs et donc l’un des fondateurs de ce fonds panafricain…

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Abdou Diouf, qui avait accepté de soutenir logistiquement et financièrement l’étude de faisabilité de ce fonds (dont le champ dépassait le strict cadre des membres africains de l’OIF), semble devenir aujourd’hui le dernier recours pour sauver ce qui reste du rêve de solidarité Sud-Sud porté depuis quarante ans par les cinéastes africains. Un rêve lancé en 1970 par deux grands militants de l’indépendance culturelle africaine récemment disparus, l’écrivain et cinéaste sénégalais Sembène Ousmane, parrain et fondateur du Fespaco, et son compagnon de toujours, le critique tunisien Tahar Cheriaa, fondateur des Journées cinématographiques de Carthage.

Il n’est pas étonnant que les deux pays hôtes de ces festivals aient été les premiers à concrétiser ce « rêve » où les cinémas africains ne seraient plus dépendants de la « charité » des pays du Nord, s’autofinançant enfin grâce à l’organisation de leurs marchés audiovisuels nationaux et régionaux. Reste que la formule réussie, choisie par la Tunisie et le Burkina Faso, qui consiste à prélever une taxe sur les recettes des salles de cinéma pour financer les films a fait long feu avec l’arrivée des télévisions satellitaires et du DVD piraté. Lesquels ont provoqué la fermeture des salles, vidées de leur public. Orphelins de ce modèle, les cinéastes africains sont redevenus tributaires des dons de l’Europe. Seul le Maroc a tiré son épingle du jeu en obligeant, dès 1997, les télévisions à contribuer au financement du cinéma national, qui a connu alors un boom sans précédent.

La dernière innovation en la matière vient de la toute jeune révolution tunisienne. Dans un projet boudé par les autorités en 2010, puis complété en mars 2011 par les « états généraux » qui ont chassé l’ancien dirigeant « benaliste » de leur association, les cinéastes proposent avec pragmatisme de s’adapter aux marchés désormais « piratés » du continent. Et ce en prélevant une taxe modique sur les DVD vierges et les nouvelles formes de diffusion de l’image, telles qu’internet et la téléphonie mobile. Renouant ainsi avec le principe légitime des pionniers : « Qui tire profit de la diffusion d’images importées doit contribuer, même à petite échelle, au financement des images nationales ». Un principe qui a permis à certains pays européens, France et Espagne en tête, de sauver leur cinéma national face au rouleau compresseur hollywoodien. Car l’enjeu reste le même : que l’Africain, à l’heure où tout passe par l’image, ne demeure pas le consommateur passif des modèles venus d’ailleurs, et produise ses propres images de qualité.

Si le président Abdou Diouf acceptait l’« appel de Ouagadougou », le rêve de solidarité panafricaine ne serait pas tout à fait mort. Et ce malgré la disparition de ses deux principaux initiateurs, Sembène Ousmane et Tahar Cheriaa. 

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