Le dessous des cartes africaines
La Royal Geographical Society accueille jusqu’au 28 avril 2011, à Londres, une grande exposition consacrée à la manière dont l’Afrique fut cartographiée. Depuis le IIe siècle jusqu’à l’ère de GoogleMaps.
« Des cinq continents, l’Afrique est peut-être celui qui a été le plus cartographié », a écrit l’africaniste américain Ralph A. Austen dans un article consacré à la géographie comme enjeu de pouvoir à travers les âges. La vaste collection africaine – quelque 50 000 objets répertoriés – de la très british Royal Geographical Society (RGS), constituée pour l’essentiel de cartes, d’atlas, de mappemondes, de planisphères décrivant le continent noir sous toutes ses coutures, témoigne de l’intérêt considérable et ininterrompu des géographes et de leurs commanditaires, les politiques, pour cette région du monde. Une région que le grand public occidental continue, paradoxalement, d’associer à ces « ténèbres » inconnaissables et inconnues évoquées par le romancier Joseph Conrad. Comment la cartographie de l’Afrique, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, permet-elle d’expliquer ce paradoxe ? Telle est la thématique de l’édifiante exposition qui s’est ouverte en mars dans les austères locaux londoniens de la RGS.
Domination
Le titre : « Rediscovering African Geographies ». « Alors que les cartes servent normalement à représenter l’espace, dans le cas de l’Afrique, elles ont très vite été détournées de leur mission pour servir d’instruments de pouvoir et de domination aux puissances occidentales colonisatrices », soutient Cliff Pereira, spécialiste de l’Afrique orientale, qui a participé à la conception de l’exposition. « Les Africains ont été dépossédés de leur histoire, mais aussi de leur géographie, ajoute-t-il. Sa réappropriation postcoloniale passe par l’imaginaire, une revendication que traduit le titre, “Rediscovering African Geographies”. »
L’exposition est composée de vingt panneaux, organisés par thèmes : La période antique ; L’Afrique et le monde ; L’Afrique postcoloniale ; Les voix africaines. Chacun d’entre eux est illustré par des cartes et des photographies puisées dans les archives de la RGS. En tout, une vingtaine de cartes représentent le continent dans tous ses états, de l’Afrique des grands empires aux indépendances, sans ignorer la polyglossie africaine ou les routes marchandes de l’époque médiévale. « Ces cartes, dont la plus ancienne date du début de l’ère chrétienne, ont forgé la vision européenne de l’Afrique à travers les âges », explique Cliff Pereira.
Conquêtes
Une vision qui s’est brouillée au cours de siècles de confrontations, d’échanges et de conquêtes opposant les continents européen et africain. Loin d’être négatives, les premières représentations des terres africaines donnaient à voir une région parfois mythique, peuplée d’animaux hybrides, mais jamais en marge de l’humanité ou de l’Histoire. Dans son manuel pionnier, La Géographie, rédigé autour de l’an 150, l’astronome et géographe grec Ptolémée situe l’Afrique résolument dans ce qu’il appelle l’« écoumène », le quart du globe habité isolé par un océan infranchissable. Plus tard, à l’époque médiévale, les cartographes arabes, à leur tour, représentent l’Afrique sur leurs mappemondes tel un vaste continent s’étendant au sud de la Méditerranée. Ce continent, dont ils ne connaissaient pas précisément les limites australes, avait alors pour eux une forme triangulaire.
Le plus connu des géographes arabes issus de l’école de Bagdad était Al-Idrisi, qui a vécu au XIIe siècle. Conseiller à la cour du roi normand de la Sicile Roger II (1140-1154), il a puisé dans ses expériences de voyages à travers le Maghreb pour produire une carte relativement détaillée, s’attachant à représenter les fleuves abreuvant les régions intérieures du continent et les agglomérations musulmanes les plus dynamiques de l’époque : Tombouctou, le Tekrour…
Tout en s’inspirant des écrits d’Hérodote et de Ptolémée, qui furent les premiers à situer l’Afrique sur les atlas du monde connu, les Arabes ont renouvelé la cartographie africaine en faisant du Sahara une passerelle entre les régions intérieures du continent africain et le monde méditerranéen. « Le Sahel fut le grenier de l’Empire romain, rappelle Cliff Pereira. Or, au fur et à mesure que la désertification a gagné du terrain, les Européens se sont mis à considérer le Sahara comme une barrière, alors que les Arabes l’imaginent comme un lieu de passage, une sorte de Méditerranée terrestre sur laquelle voguent les chameaux, importés dans la région dès le début de l’ère chrétienne. »
Puissance
« La conscience de l’Afrique comme une région puissante et dynamique est perceptible dans la plupart des cartes anciennes sur lesquelles nous nous sommes appuyés, poursuit Pereira. Regardez, par exemple, le superbe portulan catalan du XIVe siècle attribué à l’école juive de Majorque. La représentation de l’Afrique y est certes approximative et limitée au Nord, mais le “Musse Melly [Mansa du Mali] seigneur des nègres de Guinée” y est placé au même niveau que les souverains occidentaux. Il s’agit vraisemblablement de Kankan Moussa, de l’Empire du Mali, qui est resté dans l’Histoire pour son pèlerinage fastueux à La Mecque en 1324, accompagné de milliers de serviteurs et de tout l’or de son royaume. De même, sur la carte plane de Mercator (XVIe siècle), l’océan Atlantique qui borde la côte occidentale du continent africain porte le nom de “Mer éthiopienne”. L’épithète ne renvoie pas au pays, c’est un terme générique qui désigne les Noirs. Enfin, la carte de John Sudbury (Africae, 1626), qui donne les noms de quelques-uns des principaux empires et royaumes africains, est représentative de la vision occidentale du monde à l’époque. C’était une image certes lacunaire, mais elle n’est grevée d’aucune prétention impérialiste. »
Cordeau
L’exposition s’achève sur les cartes coloniales et postcoloniales. C’est-à-dire sur les frontières tracées au cordeau qui séparent les pays nés des empires européens du XIXe siècle. Rupture épistémologique ? « Plus scientifique, nourrie des observations empiriques des explorateurs, la cartographie coloniale a aussi vidé l’Afrique de son passé, de ses noms, de ses spécificités, regrette Cliff Pereira. Autrefois, les chutes Victoria s’appelaient Mosi-oa-tunya, peut-on lire sur l’un des derniers panneaux de l’exposition. Cela signifiait, dans l’idiome local, “la fumée qui tonne” ! »
Au-delà de cette histoire de dépossession que racontent les vieilles cartes de l’Afrique, l’exposition n’oublie pas de rappeler que les nouvelles technologies (photographie aérienne, imagerie par satellite) révolutionnent aujourd’hui la représentation spatiale. La carte du continent vue du ciel qui ouvre la manifestation relativise d’emblée les propos liminaires de ses organisateurs, parfois trop centrés sur la géographie coloniale.
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