À Alger, ils veulent réinventer la Casbah
Derrière les murs décrépits, des joyaux d’architecture se meurent. Dernier rempart contre la disparition du cœur historique de la capitale, des associations se battent. Et remportent quelques victoires.
Alger dans tous ses états
Derrière le comptoir de sa petite épicerie aux rayons à moitié vides, logée au milieu d’une rue en escalier, Hamad Arezki, 70 ans passés, soupire. « Ah ! La Casbah… C’est devenu un musée ! Avant, ça grouillait de monde. Ramadan, c’était merveilleux. Maintenant, je ne trouve personne à embaucher pour monter ma marchandise. »
Comptoir phénicien au IVe siècle avant J.-C., forteresse ottomane du XVIe au XIXe siècle, cœur de la résistance pendant la guerre d’indépendance, cache des islamistes dans les années 1990, la Casbah n’est plus, aujourd’hui, que l’ombre d’elle-même. L’eau courante installée par les colons, la surpopulation des années 1980 et un mobilier trop lourd ont déjà eu raison de 420 des 1 200 maisons qui étaient encore debout en 1962. Derrière les lourdes portes se cachent parfois des trésors d’architecture, tandis que les chats et les gravats disputent les ruelles aux passants.
Temps perdu
Depuis que les 60 hectares du quartier ont été classés au Patrimoine mondial de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) en 1992, plusieurs plans de sauvetage se sont succédé, mais n’ont permis de rénover qu’un seul des cinq « îlots » d’habitations. Là, les murs passés à la chaux – comme avant – ont redonné sa lumière au quartier. « On a perdu du temps car chaque wali [préfet] a défait le travail du précédent. Il y a trop d’institutions de tutelle, qui ne sont pas allées dans le même sens. Mais, maintenant, on avance bien », explique Belkacem Babaci, le président de la Fondation Casbah, qui œuvre à sa sauvegarde depuis vingt ans. En effet, depuis peu, l’État peut décider d’imposer des travaux ou de racheter une maison menacée pour laquelle se déchirent des héritiers souvent nombreux.
Le défi des amoureux de la vieille ville n’en est pas moins complexe : restaurer les maisons pour empêcher qu’elles s’écroulent, tout en maintenant la vie dans la Casbah ; sauver les murs, d’un côté, et répondre au besoin d’emplois des 65 000 habitants du quartier, de l’autre. Une articulation d’autant plus ardue que les Casbahdjis d’origine sont presque tous partis se loger plus confortablement, remplacés, depuis l’indépendance, par des gens de passage, ruraux le plus souvent, dont certains ont accéléré l’effondrement de leur maison pour hâter leur relogement. Difficile de revitaliser un quartier quand il n’est qu’un lieu de transit pour ses habitants.
Nouvelle vie ?
Farid Smaalah, 28 ans, artiste en décoration musulmane, vient d’ouvrir un atelier dans une rue passante. « Avec le développement du tourisme, ça peut marcher », espère-t-il. « La Casbah, c’est fini ! » assène un vieux monsieur sur le pas de sa boutique. « Nous voulons justement la faire revivre ! » rétorque Abdelkrim Bouchouata, le secrétaire général de la Fondation Casbah, où foisonnent les idées. Parallèlement à la rénovation des bâtiments, pour lesquels les financements publics arrivent, la création de 1 000 emplois locaux est prévue en 2011 (guides, agents de déblaiement, dinandiers…). Et pourquoi pas installer dans le quartier des centres spécialisés en maîtrise d’ouvrage, qui diffuseraient ensuite l’expérience qu’ils y ont acquise ? Ou encore solliciter la Banque mondiale, qui a déjà aidé à restaurer quarante médinas méditerranéennes ?
Une véritable course contre la montre s’est engagée. En jeu : l’invention d’une nouvelle Casbah. Ou sa fin. Pendant ce temps, à quelques ruelles du somptueux palais Aziza – qui a été rénové –, des gamins courent, indifférents au charme, toujours puissant, de la vue sur la mer, 100 m plus bas.
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