Merci, Aimé Césaire
Le 6 avril au Panthéon, à Paris, où une fresque monumentale a été installée, un hommage national a été rendu, en présence du président Nicolas Sarkozy et d’un millier d’invités, au poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire, chantre de la négritude. À cette occasion, l’ancienne candidate à la présidentielle nous a fait parvenir un long texte dont nous publions ici un extrait.
Vous entrez au Panthéon où il est juste que vous ayez votre place. C’est un hommage ainsi rendu à l’homme de conviction et d’action ; au poète dont le lyrisme incandescent a fait, disait son ami René Depestre, œuvre de marronnage vivifiant dans les veines de la langue française ; à l’éveilleur de consciences ; au démineur d’hypocrisies ; au combattant inlassable de l’humaine dignité qui avait choisi son camp – « je suis de la race de ceux qu’on opprime » – et annonçait fièrement au monde : « L’heure de nous-mêmes a sonné. »
Dans ce lieu où la République honore ceux qui lui ont fait honneur, vous rejoignez Toussaint Louverture, le libérateur d’Haïti dont vous avez raconté l’épopée héroïque et tragique. Louis Delgrès, qui conduisit en Guadeloupe la résistance au rétablissement de l’esclavage par Bonaparte. Victor Schoelcher, l’abolitionniste socialiste dont vous disiez que ni les préjugés ni les insultes ni la calomnie n’entamèrent le combat acharné et qu’il fut l’un des premiers à mesurer la valeur de civilisations africaines jusque-là méconnues.
Condorcet, l’abbé Grégoire, Hugo, Zola, Jaurès, Jean Moulin, René Cassin, Félix Éboué : à chacun nous sommes redevables de nos libertés comme nous le sommes à vous, Aimé Césaire, pour avoir, votre vie durant, pris le parti des assoiffés de justice et défendu nos valeurs avec courage quand la politique de la France leur tournait le dos.
J’avais, lors du rassemblement célébrant à Fort-de-France la disparition d’Aimé Césaire, proposé que la République inscrive à son Panthéon son nom et son œuvre. Cela m’avait valu quelques critiques. Qu’importe puisque aujourd’hui c’est chose faite. Quels qu’en soient les motifs, je m’en félicite. Nul ne peut récupérer celui qui tint tête aux pouvoirs coloniaux et postcoloniaux, celui qui ne craignait pas d’écrire : « Accommodez-vous de moi. Je ne m’accommode pas de vous. »
Il est même assez plaisant que l’ancien partisan des bienfaits de la colonisation (« la loi de la honte », disait Césaire), parti plus tard disserter à Dakar sur « l’homme africain qui n’est pas assez entré dans l’Histoire » et l’Afrique qui vit « trop dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance », ait à célébrer l’auteur du Discours sur le colonialisme, qui, un demi-siècle plus tôt, rivait définitivement leur clou à ces poncifs ethnocentrés. Il vaut mieux un mouvement dans ce sens qu’en sens inverse.
« Colonisation = chosification », écrit Aimé Césaire dans cet ouvrage au vitriol, érudit et porté par une langue magnifique. Les effets positifs du système colonial ? « On me lance à la tête des faits, des stocks, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer. […] Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. »
Il nous rappelle aussi combien les violences coloniales ont déshumanisé le colonisateur autant que le colonisé, instillé leur poison dans les veines de l’Europe et contribué à « l’ensauvagement d’un continent » devenu à son tour cible de barbaries d’abord rodées outre-mer.
On le traita à l’époque d’insulteur de la patrie. Mais c’était lui qui défendait les valeurs de la République. Et le lire aujourd’hui nous aide à mieux comprendre de quelles violences au long cours sont tissées nos histoires.
« Nègre » était une insulte. Il en fit une fierté et l’étendard d’un combat pour l’égalité. Avec Damas et Senghor, ils poussèrent le « grand cri nègre » contre l’aliénation et le mimétisme, pour le droit d’inventer sa propre route. « Nègre je suis, Nègre je resterai », a-t-il écrit, mais aussi : plus nous serons Nègres, plus nous serons des hommes, car il voulait l’universel riche de toutes les singularités. La négritude, telle qu’il la concevait, n’était pas une identité repliée sur elle-même, mais, disait-il, l’une des formes historiques de la condition faite à l’homme, la métaphore de la mise à part et la quête d’une plus large fraternité. […]
Césaire n’était pas de ceux que les ruses amères de l’Histoire font fléchir. J’ai toujours un espoir, disait-il, parce que je crois en l’humanité. Cet homme de haute exigence est resté fidèle aux engagements d’une vie droite. Jamais sa fermeté ne s’abaissa en sectarisme. Jamais il ne cessa d’opposer un refus vibrant au mensonge et au mépris. Il reste un encouragement à penser loin des poncifs. Loin de ces « vainqueurs omniscients et naïfs » qui se trompent et nous trompent.
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