Tripoli – Paris, via Lampedusa

Indésirable en Libye, Zied, migrant clandestin tunisien, décide de rejoindre l’Europe. Vingt-sept heures de grosse mer à bord d’une « épave ».

Fawzia Zouria

Publié le 26 avril 2011 Lecture : 3 minutes.

Zied, 27 ans, originaire de Ben Guerdane, dans le Sud-Est tunisien, travaillait à Tripoli dans un hôtel cinq étoiles qu’il n’aurait jamais songé à quitter si le vent de la révolution n’avait gagné le pays de Syrte. « Soudain, les Tunisiens sont devenus indésirables, explique-t-il. Il fallait déguerpir au plus vite ! » Juste le temps pour le jeune homme de prendre son passeport et de se jeter dans un grand taxi, destination Ras el-Jdir, puis Ben Guerdane.

Sitôt arrivé chez lui, Zied n’a qu’une idée en tête, « brûler » en Europe, car il ne voit pas comment retrouver du travail rapidement en Tunisie. Il gagne Zarzis, au lieu de rendez-vous indiqué, un café… nommé Lampedusa, avec, en poche, la somme exigée pour la traversée jusqu’en Italie, soit 2 000 dinars (1 000 euros). Quelques heures plus tard, il se retrouve au milieu d’une centaine de candidats à l’exil, entassés dans une maison squattée et encadrés par quatre hommes. Vers 3 heures du matin, Zied embarque avec quatre-vingts harragas, dont une famille avec enfants. La barque est exiguë et vétuste : « Si j’avais vu cette épave de jour, je n’aurais jamais embarqué. » Un seul « encadreur » les accompagne. Vingt-sept heures de grosse mer, serrés comme des sardines, tenaillés par la peur de se noyer. En guise de victuailles, un morceau de pain, une gorgée de lait et quelques cigarettes.

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Au large de Lampedusa, avant l’arrivée des garde-côtes italiens, l’encadreur prend place au milieu des clandestins et leur lance, menaçant : « Celui d’entre vous qui me balance aura la tête tranchée par les Akkara (issus d’une tribu de Zarzis). Ils sont nombreux au centre d’accueil où vous allez. » La petite île n’a rien d’une terre étrangère. « Il y avait une majorité de Tunisiens. Sur les murs, des slogans tels que “Ben Ali dégage !”. On écoutait de la musique arabe. Il ne manquait plus que le drapeau rouge pour que Lampedusa soit déclarée wilaya de Tunisie. » La vie s’organise tant bien que mal dans le centre d’accueil. Les autorités locales ne savent pas quoi faire de ces émigrés sans papiers, lesquels s’efforcent de passer inaperçus au milieu d’une population autochtone excédée et qui exige l’augmentation du prix de l’alcool afin de faire cesser le tapage nocturne de certains clandestins éméchés…

Zied, quant à lui, n’attend qu’une chose : poursuivre sa route. « Je n’ai pas pris la mer pour croupir dans une prison. » Deux jours plus tard, il se débrouille pour faire partie de l’un des groupes acheminés vers Bari, dans le sud de l’Italie. Ici, il est photographié pour la première fois, et on lui donne un badge avec son nom et un numéro inscrit dessus. « À Bari, tout était mieux organisé. On nous emmenait le matin en ville par autobus et nous devions rentrer au centre à l’heure du dîner. Mais n’importe qui pouvait s’échapper. » Et Zied cherche déjà le moyen de gagner la France. Un intermédiaire marocain lui déniche un passeur pour 250 euros, que sa mère lui fait parvenir en vendant ses bijoux. L’itinéraire est tracé : Gênes, où Zied attend trois jours dans une planque avant de prendre le train pour Vintimille, d’où il rejoindra Nice en voiture : « Le chauffeur était italien et la voiture était escortée à l’avant par une autre, où se trouvait le passeur, un Maghrébin, je crois. » L’après-midi même, Zied saute dans un TGV pour Paris. À l’arrivée, des centaines de policiers encerclent la gare de Lyon. Ils le cueillent, ainsi que les quarante clandestins qui avaient eu la même idée et que les Français suivaient à la trace depuis Nice. Au centre de rétention de Vincennes, Zied réussit à se faire relâcher pour vice de forme. Il a jusqu’à la fin du mois d’avril pour retourner dans son pays. Sur les Champs-Élysées, où il savoure sa première promenade parisienne, il lâche, tout sourire : « Encore faut-il qu’on me mette la main dessus… »

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