Israël – Palestine : Juliano Mer-Khamis, à la paix, à la mort
Assassiné le 4 avril à Jénine, l’acteur et metteur en scène judéo-arabe était l’un des derniers symboles du rapprochement entre les deux peuples.
Son histoire réunit tous les ingrédients d’une tragédie proche-orientale. Celle d’un infatigable artisan du dialogue, libre penseur et provocateur, tiraillé entre deux identités. Personnage hors norme et charismatique, Juliano Mer-Khamis, 52 ans, avait fait de sa passion pour le théâtre un pont entre les peuples. « On vivra ensemble, ou on ne vivra pas », avait-il déclaré, en 2009, lors d’une interview à la radio israélienne. Acteur et réalisateur reconnu, il voyait dans l’expression artistique un moyen de briser les antagonismes. Sans tabou, Mer-Khamis dénonçait avec véhémence l’occupation israélienne, tout comme certains travers d’une société palestinienne qu’il voulait « faire sortir de la culture du ghetto ». Son combat, peut-être encore trop avant-gardiste, s’est achevé dans le sang. Lundi 4 avril, en plein cœur du camp de réfugiés de Jénine, un homme masqué s’est brusquement approché du véhicule rouge dans lequel Mer-Khamis avait pris place et a tiré sur lui cinq balles à bout portant. Le comédien meurt sur le coup, à quelques mètres seulement du Théâtre de la Liberté qu’il avait ressuscité quelques années plus tôt.
À l’évidence, le destin de Mer-Khamis est aussi romanesque qu’insolite. Il naît à Nazareth de l’improbable union entre une Juive israélienne, Arna Mer, et un Arabe chrétien, Saliba Khamis, que tout opposait à l’origine. Ancienne combattante du Palmah – une organisation juive clandestine –, Arna s’enrôle dans Tsahal à sa création et participe à la première guerre israélo-arabe de 1948. Saliba, qu’elle rencontre quelques années plus tard, est un militant antisioniste qui deviendra l’un des cadres du Parti communiste israélien. Le couple partage un même attachement pour la défense des droits de l’homme. Dès lors, la mère de Juliano embrasse la cause palestinienne, définitivement. Au moment où éclate la première Intifada, elle lance plusieurs projets éducatifs comme le Théâtre des Pierres, à Jénine, un espace préservé où les jeunes Palestiniens peuvent échapper à la réalité du conflit.
Ce double héritage, Mer-Khamis l’a toujours assumé avec fierté. « Je suis le fils de deux peuples, d’une famille juive brûlée à Buchenwald et d’une famille palestinienne chassée de sa terre », disait-il, comme pour se détacher de toute posture victimaire. Après un passage dans la prestigieuse brigade parachutiste de Tsahal, Mer-Khamis se consacre au cinéma. Sa première apparition sur grand écran remonte à 1984, dans La Petite Fille au tambour (de George Roy Hill), un thriller américain qui jette un regard trouble sur le conflit israélo-palestinien. Au total, il jouera dans une vingtaine de films, principalement avec le réalisateur Amos Gitaï. Sa carrière connaîtra un tournant en 2002, après la bataille de Jénine qui voit la destruction du petit théâtre fondé par sa mère. Mer-Khamis lui rend hommage dans un documentaire poignant, Les Enfants d’Arna, et découvre que la plupart d’entre eux sont devenus des « martyrs » de la seconde Intifada, combattants ou kamikazes. À cette occasion, il se lie d’amitié avec Zakaria al-Zoubeidi, chef des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, branche armée du Fatah, alors activement recherché par Israël.
Résistance culturelle
Adepte de la résistance culturelle, Juliano Mer-Khamis comprend que c’est sur scène qu’il doit porter ses convictions politiques et redonner espoir aux Palestiniens. Contre vents et marées, il avait fini par obtenir la réouverture du théâtre de Jénine en 2006. Mais son style dérangeait une société palestinienne encore trop conservatrice. L’acteur arabo-israélien se savait depuis longtemps menacé. À deux reprises, son théâtre avait été incendié. Les islamistes n’avaient pas apprécié La Ferme des animaux, une pièce adaptée du roman de George Orwell, où des acteurs musulmans campent le rôle de cochons. L’assassinat de Mer-Khamis a autant choqué le monde artistique israélien que les intellectuels palestiniens. Jurant de punir le coupable, le Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Salam Fayyad, a condamné « un acte qui viole nos valeurs et notre foi en la coexistence ».
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