Elles ont fait la révolution tunisienne

Ce n’est pas parce que les Tunisiennes ont le triomphe modeste qu’il faut oublier leur rôle central dans la chute de la dictature. Journalistes, blogueuses, étudiantes, femmes du peuple… Elles étaient là le 14 janvier. Et témoignent.

Mona Ben Halima, blogueuse tunisienne. © Ons Abid pour J.A.

Mona Ben Halima, blogueuse tunisienne. © Ons Abid pour J.A.

Fawzia Zouria

Publié le 20 avril 2011 Lecture : 5 minutes.

Pour Racha Tounsi, le constat ne fait pas de doute : la révolution s’est faite avec et grâce aux femmes. De mère syrienne et de père tunisien, cette journaliste, figure incontournable de la scène culturelle locale, était sur l’avenue Bourguiba le jour où Ben Ali a fui. Ce sont des jeunes des quartiers pauvres auxquels elle venait en aide qui l’ont appelée à les rejoindre : « Ils m’ont dit, Tata, tu viens avec nous. J’y suis allée. Je me suis fondue dans la foule, j’ai aimé les slogans, j’écrivais, je photographiais, j’étais dans le mouvement sans y être vraiment. » Parmi les manifestants, un grand nombre de jeunes filles, constate-t-elle, des avocates, des étudiantes. La veille, des intellectuelles avaient manifesté devant le Théâtre municipal, où elles avaient été prises à partie par la police, frappées ou traînées par les cheveux, comme la comédienne Raja Ben Ammar.

« Les garçons ont protégé les filles contre les matraques. J’avoue que j’ai eu peur ! Les policiers n’étaient pas dans un état normal, ils nous fonçaient dessus comme des chiens. » Mais Racha n’oubliera pas les jours heureux de cette révolution : « Jamais je n’avais senti des moments aussi forts et émouvants, une telle démonstration de vérité et de solidarité. J’étais vraiment fière de m’appeler Racha Tounsi ! » Et la journaliste de saluer le courage des Tunisiennes, celles qui étaient dans les cortèges de Sidi Bouzid à partir du 17 décembre, au cœur des événements de Kasserine et de Thala, occupées à soigner les blessés, celles qui, aussi, ont passé leurs nuits à cuisiner pour nourrir les soldats de l’armée et les comités de quartier qui les protégeaient contre les milices et les pilleurs.

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Mona Ben Halima a été l’une des blogueuses les plus actives de la révolution. Elle raconte comment elle a rencontré un jour sur Twitter un groupe de jeunes qui se connaissaient virtuellement et se reconnaissaient dans les mêmes revendications. Cette femme bouillonnante de 38 ans, fille d’hôteliers, doit son éveil politique à la guerre du Golfe, en 1991, alors qu’elle était en prépa à Louis-le-Grand, à Paris. L’enfant choyée décide de descendre dans l’arène de la contestation dès son retour à Tunis, où, tout en dirigeant son hôtel, elle entend lutter contre le régime : « J’ai toujours entendu dire : “On a le pays et le président qu’on mérite.” Alors j’ai décidé de démontrer le contraire. On était encore loin d’imaginer la chute de Ben Ali. Pour nous, la première bataille sur internet était celle de la liberté de la presse, qui pouvait rendre possible la dénonciation de la corruption et du clientélisme. »

« Ammar »

Avec son groupe d’internautes, elle lance, le 22 mai 2010, une journée intitulée « Nhar ala Ammar ! » (« Mauvais jour pour Ammar »), du surnom de la censure sur internet, mais son mari l’empêche d’y aller de crainte qu’elle ne soit arrêtée. Le 22 décembre, au plus fort de la contestation, Mona envoie au journaliste Laurent Delahousse, de France 2, un appel au secours pour lui demander de « relayer ce qui se passe en Tunisie ». Elle continue de faire parvenir aux réseaux les images des exactions et des morts en contrecarrant la censure via des proxy. Le 3 janvier au matin, son mari reçoit un coup de fil anonyme : « Dis à ta femme de fermer sa gueule ! » Le 4, elle affiche l’intimidation sur son statut, assortie de la question « Que dois-je faire ? » Le statut est repris par europe1.fr, qui le publie. « Ammar » menace de s’en prendre à ses deux enfants. « Mais le 10 janvier, c’était trop tard, les cyberactivistes se comptaient par milliers, on ne pouvait pas tous les arrêter. Le 14, nous étions dans la rue et la réalité allait dépasser nos rêves ! » Mais si Mona reconnaît la part décisive d’internet dans le soulèvement, elle « refuse de dire que cette révolution a été faite par Facebook. Le vrai moteur, ce sont les gens qui sont descendus dans la rue ».

Aujourd’hui, Mona estime qu’elle a pour mission d’éveiller la conscience du citoyen et de vulgariser certains concepts politiques, comme « démocratie », « Parlement », ou « Constituante ». Avec ses amis, elle vient de demander à une troupe de théâtre de monter une pièce faisant office de dictionnaire pédagogique, avec un titre tout trouvé : Jeux demo.

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Depuis cinq ans, Faouzia, originaire d’une ville du Nord-Ouest et titulaire d’une maîtrise de lettres françaises, est au chômage. Pour elle, la révolution était prévisible : « Tous ces diplômés qui errent dans les rues sans espoir et sans horizon, la cherté de la vie, les salaires très bas, le peuple qui crève de faim et croule sous l’oppression, tout cela nous a fait descendre dans la rue. Je n’ai jamais été aussi fière d’appartenir à ce pays arabe qui, le premier, a osé s’opposer à son gouvernement. »

Un devoir

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Pour Raja, 24 ans, étudiante en sociologie, la participation aux manifestations était un devoir. Son argument est imparable : « Les femmes ont les mêmes revendications et les mêmes droits que les hommes, aussi est-il essentiel qu’elles soient présentes sur le terrain politique et social. Elles doivent être partie prenante dans tous les débats et projets d’avenir. Ces dernières années, l’image de la femme a été dépréciée, il faut en créer une autre, celle d’une Tunisienne digne de la révolution. » Issue d’un milieu rural, Raja veut surtout que la Tunisie de demain donne sa chance aux femmes de l’intérieur du pays : « Il faut des actions concrètes et rapides pour venir à bout de la pauvreté et de la misère de cette population. On n’a plus de temps à perdre avec les études de terrain, les inspections des chercheurs et des sociologues. On attend une action de développement sérieuse et efficace. Le 14 janvier a révélé la richesse et l’importance de ces régions oubliées. Il est temps qu’elles existent. »

Rabia, 29 ans, diplômée en agronomie, attendait depuis trois ans la réponse à une demande de prêt promise par l’ancien gouvernement aux jeunes étudiants de son cursus. Mais c’est un autre événement qui la poussera à s’engager : le jour où son père meurt d’une crise cardiaque après avoir vu son entreprise confisquée par un mafieux. Son frère, militant à la fac, a été, quant à lui, jeté en prison sous de fausses accusations. Les deux épreuves vont lui ouvrir les yeux : « J’ai réalisé que la politique est l’expression de la vraie société et qu’elle seule crée les moyens de répondre à des exigences vitales urgentes. J’entendais parler de démocratie, mais aujourd’hui je comprends enfin ses objectifs. J’ai aussi pris conscience que la liberté ne peut se définir que comme une liberté partagée par tous. Bien sûr, elle doit reposer sur un principe fondamental : la laïcité. On ne veut pas remplacer le joug des politiques par le joug des islamistes. Cette révolution est celle de la jeunesse, des femmes, du peuple, et il faut qu’elle engendre une société qui n’exclut aucune catégorie sociale ! » 

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