Kadhafi et moi
Président de la République d’Ouganda depuis 1986.
Quand Mouammar Kadhafi a pris le pouvoir, en 1969, j’étais étudiant en troisième année à l’université de Dar es-Salaam. Nous avons salué l’arrivée de cet homme qui se plaçait dans la tradition nationaliste et panarabe du colonel égyptien Gamal Abdel Nasser. Mais Kadhafi a vite commencé à poser problème à l’Ouganda et à l’Afrique noire.
Il a soutenu Idi Amin Dada. Idi Amin Dada a pris le pouvoir en Ouganda avec l’aide d’Israël et du Royaume-Uni. Ces deux pays pensaient que, parce qu’il était peu éduqué, il serait facilement manipulable. Mais Amin s’est retourné contre ses anciens alliés et c’est à ce moment-là que le colonel Kadhafi a décidé de lui apporter son soutien. Simplement parce qu’Amin était un « musulman » et que l’Ouganda était un « pays musulman », où les croyants étaient « opprimés » par les chrétiens. Amin a tué beaucoup de gens sans aucune forme de procès et Kadhafi a été associé à ces erreurs.
Il a brusqué l’Union africaine (UA). Sa deuxième erreur a été de vouloir imposer rapidement un gouvernement continental à l’Union africaine – un point de vue qu’il défend depuis 1999. Les Africains sont toujours polis. Ils ne cherchent pas à offenser les autres peuples et s’adressent avec attention et respect aux étrangers. C’est ce que l’on appelle chez nous l’obufura (en runyankore), le mwolo (en luo). Nous avons essayé d’expliquer poliment au colonel Kadhafi que les États-Unis d’Afrique n’étaient pas réalisables, ni à court ni à moyen terme. Nous avons préféré soutenir l’idée d’une communauté économique d’Afrique et, lorsque cela était possible, de fédérations régionales. Kadhafi n’a pas cédé. Il n’a pas respecté les règles de l’Union.
Il a voulu doubler les autres chefs d’État. Sa troisième erreur a été d’utiliser l’argent de la Libye pour interférer dans les affaires internes de nombreux pays africains. Un exemple : son implication auprès des chefs traditionnels d’Afrique noire. Parce que les dirigeants politiques avaient refusé de soutenir son idée d’États-Unis d’Afrique, Kadhafi a cru pouvoir les doubler et travailler avec ces rois pour parvenir à ses fins. Je l’ai prévenu, à Addis-Abeba, que tout roi ougandais qui s’impliquerait en politique aurait à répondre de ses actes, parce que notre Constitution l’interdit. En Éthiopie, j’ai insisté pour supprimer toute référence aux chefs traditionnels qui s’étaient exprimés au sein de l’UA, après y avoir été invités illégalement par Kadhafi.
Il a sous-estimé le problème du Sud-Soudan. Kadhafi est comme la plupart des dirigeants arabes. Il a soit provoqué, soit ignoré les souffrances des Noirs du Sud-Soudan, même s’il a, par la suite, demandé à El-Béchir de reconnaître les résultats du référendum. Cette injustice a créé des tensions et des frictions entre nous et les Arabes.
Il n’a pas dit non au terrorisme. Encore une fois, Kadhafi est comme certains dirigeants du Moyen-Orient qui ne prennent pas suffisamment leurs distances par rapport au terrorisme, même quand ils se battent pour une juste cause. Le terrorisme, c’est utiliser la violence de manière indiscriminée, sans faire de distinction entre cible militaire et cible civile. Les radicaux du Moyen-Orient, assez différents des révolutionnaires d’Afrique noire en cela, semblent penser que tous les moyens sont bons tant qu’il s’agit de combattre l’ennemi. Ils détournent des avions, commettent des assassinats, placent des bombes dans des bars. Nous sommes aux côtés des Arabes pour combattre le colonialisme. Mais les mouvements de libération africains se sont développés différemment : nous avons fait usage des armes, combattu des soldats, saboté des infrastructures, mais jamais visé des civils.
Ceci étant dit, force est de constater que le colonel a parfois aussi agi de manière positive, notamment en faveur de l’Afrique, de la Libye et des pays en développement. Voici pourquoi.
C’est un vrai nationaliste. Le colonel Kadhafi a toujours mené ses politiques intérieure et extérieure de manière indépendante. Je ne comprends pas la position des dirigeants occidentaux qui supportent mal les dirigeants indépendants d’esprit et qui leur préfèrent des marionnettes. Une marionnette ne fait jamais de bien à un pays. La plupart des pays qui ont quitté le statut de pays du tiers-monde pour atteindre celui de pays développés depuis 1945 ont eu des responsables indépendants. Et en Afrique aussi, nous avons eu un certain nombre de dirigeants indépendants : Nasser en Égypte, Nyerere en Tanzanie, Samora Machel au Mozambique. C’est ainsi que l’Afrique du Sud a été libérée. C’est ainsi que nous nous sommes débarrassés d’Idi Amin Dada. La fin du génocide au Rwanda, le renversement de Mobutu… tout cela a été obtenu grâce aux efforts de dirigeants indépendants. Quelles que soient ses erreurs, Mouammar Kadhafi est un vrai nationaliste.
Il a fait monter les prix du pétrole. Avant que Kadhafi ne parvienne au pouvoir, en 1969, le baril de pétrole coûtait 40 cents américains. Il a lancé une campagne visant à stocker le pétrole arabe jusqu’à ce que l’Occident se décide à payer plus. Je crois savoir que le pétrole est alors monté à 20 dollars le baril. Quand la guerre israélo-arabe de 1973 a éclaté, le baril est monté à 40 dollars. Je suis, du coup, surpris d’entendre que de nombreux producteurs de pétrole dans le monde, y compris des pays du Golfe, n’apprécient pas le rôle historique de Kadhafi sur ce sujet. L’immense richesse dont jouissent certains de ces producteurs est due, au moins en partie, au colonel.
La Libye lui doit beaucoup. Je n’ai jamais pris le temps d’analyser les conditions socio-économiques qui prévalent en Libye. La dernière fois que j’y suis allé, j’ai pu voir de bonnes routes depuis le ciel. À la télévision, on voit des rebelles qui se déplacent dans des pick-up sur de très bonnes routes, accompagnés par des journalistes occidentaux. Qui les a construites ? Qui a construit la raffinerie de Brega et ces usines où l’on se bat aujourd’hui ? Ces équipements ont-ils été mis en place sous le règne du roi et de ses alliés américains et britanniques, ou bien par Kadhafi ? En Égypte et en Tunisie, des jeunes se sont immolés parce qu’ils n’avaient pas trouvé de travail. Et en Libye, le conflit est-il économique ou purement politique ? C’est là un sujet sur lequel seuls les Libyens sont à même de trancher.
Avec les pays occidentaux, il y a toujours deux poids, deux mesures. En Libye, ils ont très vite imposé une zone d’exclusion aérienne. À Bahreïn, comme dans d’autres pays pro-occidentaux, ils ont fermé les yeux sur des situations identiques. Nous avons demandé aux Nations unies d’imposer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Somalie, pour empêcher le déplacement des terroristes liés à Al-Qaïda, qui ont tué des Américains le 11 septembre 2001, des Ougandais en juillet dernier et qui ont causé tant de mal aux Somaliens. Sans succès. Pourquoi ? N’y a-t-il pas d’êtres humains en Somalie comme il y en a à Benghazi ? Ou bien est-ce parce qu’il n’y a pas de pétrole en Somalie ?
Extraits d’une tribune publiée dans son intégralité par le quotidien ougandais New Vision.
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