Côte d’Ivoire : Gbagbo : fin de partie

Si la chute du président sortant Laurent Gbagbo est acquise, le plus dur commence pour son successeur Alassane Ouattara : réconcilier une Côte d’Ivoire en guerre, divisée et profondément traumatisée.

Les FRCI, lors de l’assaut final à Abidjan, le 4 avril. © Reuters

Les FRCI, lors de l’assaut final à Abidjan, le 4 avril. © Reuters

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 12 avril 2011 Lecture : 4 minutes.

C’est un dessin cruel de Chappatte, caricaturiste suisse habitué des pages de l’International Herald Tribune, du Temps de Genève, de J.A. et de quelques autres publications. On y voit le président Ouattara sortant d’un pick-up blindé pour entrer au palais présidentiel du Plateau, à Abidjan. Il avance, mais semble hésiter : sous le tapis rouge, qui mène au portail d’honneur, ses gardes ont caché hâtivement une douzaine de cadavres d’Ivoiriens entassés dans une mare de sang. Va-t-il leur marcher dessus ? Va-t-il les contourner ? Sans doute est-ce pour éviter le cauchemar d’une accession au pouvoir aussi calamiteuse qu’Alassane Dramane Ouattara a prononcé, le 7 avril, son premier véritable discours de chef de l’État. Une allocution à la fois consensuelle, maligne (le blocus de son adversaire est effectivement le meilleur moyen de le banaliser), compassionnelle, sans triomphalisme déplacé, mais aussi révélatrice de certaines fragilités. L’exhortation lancée par le président élu à ses propres troupes de « s’abstenir de tout crime, de toute violence ou de tout pillage » et l’annonce de punitions sévères à l’encontre de « tous ceux qui seront impliqués dans de tels actes » signifient en filigrane ce que nul n’ignore : tout cela a déjà été commis, notamment lors de la conquête de l’Ouest, par des éléments mal contrôlés des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Même si son entourage proche jure que la seule voie de sortie possible pour Laurent Gbagbo est un aller simple pour la Cour pénale internationale, Ouattara n’ignore pas que l’enquête ouverte par le procureur Moreno-Ocampo peut être à double tranchant, et qu’il lui sera difficile de gérer politiquement les poursuites dont pourraient faire l’objet certains de ses chefs de guerre. Autre fragilité : l’ingérence militaire de la France et, dans une moindre mesure, celle de l’Onuci, déterminantes dans la défaite militaire du clan Gbagbo. Si Alassane Ouattara félicite, dans son discours, ses partenaires Henri Konan Bédié et Guillaume Soro (à qui il « renouvelle » sa « confiance » et qui pourrait, à terme, selon certaines sources, être gratifié du poste à créer de vice-président), seuls quelques mots sont consacrés à la « communauté internationale », terme générique s’il en est. On sait que l’ex-colonisateur, dont l’implication dans la guerre était souhaitée – pour des raisons radicalement opposées – par les deux camps (Gbagbo en attendait un « sursaut patriotique » en Côte d’Ivoire et un surcroît de réprobation en Afrique), ne s’est finalement engagé qu’à reculons. Mais on imagine aussi que la tendance de l’Élysée à faire savoir qu’un coup de fil de Nicolas Sarkozy avait précédé chaque tournant de la crise (y compris le discours du 7 avril), tout comme la démonstration plutôt maladroite d’Alain Juppé dévoilant devant les députés français une note de quatre pages consacrées aux priorités de l’après-Gbagbo, ont dû gêner, si ce n’est agacer, Alassane Ouattara.

Reste que, non sans habileté, le président élu a décidé de retourner contre son frère ennemi la stratégie du pourrissement et de transposer au bunker de Cocody l’encerclement du Golf Hôtel. Plus les jours passent et moins l’option idéale de sortie un moment espérée par Laurent Gbagbo – demeurer à Abidjan et continuer d’y faire de la politique en jouissant de toutes les garanties d’impunité – apparaît envisageable. Encore une semaine de ce traitement, et le président sortant inspirera à ses partisans plus de pitié que de solidarité sans qu’il soit besoin d’en faire ce que son successeur mais aussi Nicolas Sarkozy souhaitent éviter à tout prix : un martyr.

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Seigneurs de guerre

Pourtant, aussi longtemps que cette hypothèque ne sera pas levée et quoi qu’il en ait dit dans son allocution, Alassane Ouattara sait qu’une normalisation – a fortiori un début de vraie réconciliation nationale – sera impossible en Côte d’Ivoire. La société y est encore plus clivée qu’en 2002, la problématique de la citoyenneté est toujours une plaie ouverte, une bonne partie des 46 % d’électeurs ayant voté Gbagbo en novembre dernier continue de penser que Ouattara n’est tout simplement pas ivoirien, l’essentiel de la hiérarchie des Églises chrétiennes (catholique, pentecôtiste, évangélique…) a basculé dans l’islamophobie, et la prédation a désarticulé les tissus administratif et économique du Sud, littéralement pris en otage par Gbagbo après son hold-up électoral, mais aussi du Nord, abandonné aux mains des seigneurs de guerre.

Alassane Ouattara, à qui Français, Américains, « Elders » et hauts fonctionnaires de l’ONU dispensent ces jours-ci d’encombrantes leçons de bonne gouvernance, saura-t-il faire oublier qu’il fit aussi, pendant près de deux décennies, partie intégrante du problème ivoirien ? Pourra-t-il endosser l’habit de président de tous les Ivoiriens, que nul n’a su revêtir depuis la mort d’Houphouët ? Son discours du 7 avril peut le laisser croire. Mais seul l’avenir dira s’il a vraiment compris le sens de cette phrase d’Aimé Césaire, citée la veille au Panthéon par un certain Nicolas Sarkozy : « Une nation, ce n’est pas une invention, c’est un mûrissement. » 

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