Cinéma marocain : quand Hicham Ayouch se fait un prénom
Le frère du réalisateur marocain Nabil Ayouch propose un film qui n’est pas sans rappeler ceux de Truffaut et de Cassavetes.
Décidément, le cinéma marocain ne cesse de nous surprendre par sa créativité. À peine a-t-il obtenu le grand prix – l’Étalon d’or – au Fespaco grâce à Pégase, un étonnant long-métrage psychologico-fantastique de Mohamed Mouftakir, qu’il propose dans les salles françaises à partir du 6 avril, quelques mois après sa sortie au Maroc, un autre premier film des plus originaux. Avec Fissures, Hicham Ayouch, le frère du célèbre réalisateur Nabil Ayouch, propose, selon ses propres termes, un « ofni », un objet filmique non identifié.
Pour qualifier cette œuvre expérimentale à la frontière entre une vidéo d’art contemporain – l’œuvre a d’ailleurs été montrée récemment au prestigieux musée d’Art moderne de New York, le MoMa, et à la Tate Gallery de Londres – et un film genre nouvelle vague revisitée, certains ont évoqué François Truffaut et John Cassavetes. Cette histoire d’amour peu conventionnelle tournée à toute allure en douze jours dans un climat de totale improvisation offre un scénario à la Jules et Jim : deux hommes sont amoureux de la même femme et tous trois vivent de jour comme de nuit des situations intenses dans le décor naturel d’une ville mythique qui se nomme Tanger, où ils dérivent à la recherche d’émotions nouvelles. Le style du film et le jeu des acteurs qui déploient une énergie sans limite font penser à l’occasion au cinéma de l’auteur culte de Faces, Shadows et Gloria. De tels parrainages sont cependant un peu lourds à porter pour un jeune réalisateur proposant un film qui ne saurait laisser indifférent mais qui, par moments, ressemble à un brouillon. Avec des scènes très fortes et très réussies et d’autres qui ne sont guère abouties.
Rien d’étonnant à ce que Hicham Ayouch, qui a tourné Fissures comme on chante un hymne à la liberté et au droit de vivre comme on l’entend, au risque de choquer, et quoi qu’il puisse vous en coûter, soit aujourd’hui passionné par les événements qui agitent le monde arabe et plus particulièrement le Maroc. Quittant de plus en plus souvent pour de longs séjours dans le royaume son quartier de Ménilmontant, à Paris, il a même décidé de consacrer son prochain long-métrage à ces événements. Sans savoir encore quelle forme finale prendra cette œuvre, il filme depuis un mois dans les rues de Casablanca, Rabat ou Tanger. Avec une petite équipe de quatre personnes, il a déjà tourné une vingtaine d’heures de rushs, couvrant des manifestations et enregistrant des réactions de toutes sortes de personnes, jeunes en tête bien sûr, qui commentent le « printemps arabe » et expriment leurs désirs.
Oeuvre "transgenre"
Ce qui frappe le plus Hicham Ayouch après ces semaines d’« enquête » caméra au poing ? Que tant de gens dans le monde arabe, manifestant un changement dans leur rapport à leur identité, commencent à penser et à s’exprimer en tant que « je ». Alors que presque toute la place était jusqu’ici occupée par le « nous », le « on », la famille, la religion, le « système », tout à coup ils osent parler en leur nom propre pour réclamer « le droit de vivre comme ils en ont envie ». En cessant de courber l’échine devant les figures de l’autorité. Ce qui n’implique, ajoute-t-il aussitôt, aucun modèle à suivre, puisque, pour certains, il s’agira de souhaiter un progrès de la démocratie ou de la laïcité, pour d’autres un projet islamiste, pour d’autres encore la possibilité de suivre des voies inexplorées. « L’important, c’est que l’on puisse enfin s’affranchir des tabous », y compris, au Maroc, des plus tenaces, comme ceux qui concernent « le roi et sa sacralité ». Même si la monarchie, précise-t-il, n’est pas un problème en soi, puisque rien n’interdit d’aller vers une monarchie constitutionnelle.
Le futur film ne sera pas un simple documentaire. Hicham Ayouch le transformera peut-être avec des scènes de fiction en une œuvre « transgenre ». Revenu dans l’Hexagone pour accompagner la sortie de Fissures à Paris, il fait une pause le temps d’y réfléchir. L’occasion aussi, alors qu’il a commencé à travailler sans aucun soutien, grâce aux revenus qu’il a tirés notamment de diverses collaborations à des projets de cinéma au Proche-Orient, de chercher des partenaires pour donner plus d’assise à cette production.
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