Niger : les trois défis d’Issoufou

Croissance, développement humain et sécurité : le chef de l’État, qui prendra ses fonctions le 7 avril, devra mener de front ces dossiers sensibles. Et savoir bien s’entourer pour y parvenir.

Mahamadou Issoufou mise sur la création de 250 000 emplois en cinq ans. © AFP

Mahamadou Issoufou mise sur la création de 250 000 emplois en cinq ans. © AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 18 avril 2011 Lecture : 5 minutes.

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Les apparences sont trompeuses. Mahamadou Issoufou est certes diplômé de l’École nationale supérieure des mines de Saint-Étienne, en France. Il est aussi un ancien cadre de la Société des mines de l’Aïr (Somaïr). Mieux que personne, il connaît le poids de l’uranium dans l’économie du Niger. Mais si le secteur minier sera bien suivi, il ne constituera pas la priorité du nouveau chef de l’État. Les contrats avec le groupe français Areva ont été signés en 2008, à la fin de l’ère Tandja – et bien signés. Le prix d’achat du minerai a été revalorisé. Ils ne sont pas renégociables avant plusieurs années.

Reprise

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C’est d’abord sur l’agriculture que le président Issoufou va faire bouger les choses. Une année sur trois, le Niger est frappé par la sécheresse. Dernière en date : 2010. « Après la famine de l’an dernier, la priorité, c’est de reconstituer notre réserve de sécurité alimentaire, explique un proche du nouveau chef de l’État. Il nous faut en permanence un stock de 100 000 tonnes de mil et de riz. » Pour sortir du cycle des famines, la nouvelle équipe va lancer une politique de recherche dans le domaine des semences adaptées à la sécheresse. Elle va injecter des intrants et développer l’hydraulique (eaux de surface et du sous-sol). Sur cinq ans, le programme du candidat Issoufou prévoyait d’y consacrer 1 200 milliards de F CFA (plus de 1,8 milliard d’euros).

Uranium, agriculture… et aide internationale. Après la crise du tazartché (« continuité », en haoussa) – ce bonus de trois ans que Tandja a voulu s’octroyer en 2009 –, puis le putsch de février 2010, l’aide des bailleurs de fonds s’est tarie. Logiquement, elle va reprendre. C’est le cas notamment des financements apportés par l’Union européenne pour soutenir les projets routiers ; ceux-ci, suspendus en 2009, doivent redémarrer prochainement. « C’est très bon pour le secteur privé, lance un dirigeant du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), désormais au pouvoir. Entre le public et le privé, nous parions sur la création de 250 000 emplois sur cinq ans. Priorité aux diplômés-­chômeurs. »

Sur l’année écoulée, le taux de croissance économique oscille entre 3,5 % et 4 %. Il est donc annulé par la croissance démographique, l’une des plus fortes au monde : 3,9 % en 2009, selon la Banque mondiale (avec 7,1 enfants par femme, en moyenne !). L’objectif du nouveau chef de l’État est de parvenir à un taux de croissance économique de 7 %, au-delà, donc, des 5,2 % prévus par le Fonds monétaire international (FMI) pour 2011. Mais cet objectif n’est pas hors d’atteinte si l’assainissement des finances publiques et le redéploiement des différents secteurs, tels qu’engagés pendant la période de transition, se poursuivent.

Urgences sociales

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Parallèlement à la priorité économique, celle du développement social et humain. Si l’argent rentre de nouveau dans les caisses de l’État, Mahamadou Issoufou entend mettre le paquet sur l’éducation. « Officiellement, plus de la moitié des enfants nigériens sont scolarisés, explique un cadre du PNDS qui a été professeur de lycée. Mais les statistiques de la Banque mondiale sont fausses. En réalité, nos instituteurs sont nuls. Ils ont été recrutés n’importe comment, pourvu que les bailleurs de fonds passent à la caisse. Beaucoup savent à peine lire et écrire. Résultat : la majorité des enfants scolarisés est analphabète ! Il faut tout reprendre de zéro. » Investissement prévu sur cinq ans : 1 200 milliards de F CFA, le même que pour l’agriculture et le secteur hydraulique réunis.

Autre domaine prioritaire, celui de la santé. C’est même le problème le plus urgent à régler. Depuis plusieurs semaines, des centaines de médecins, d’infirmières et de sages-femmes sont en grève, demandant notamment à être intégrés dans la fonction publique. « Même si nous ne sommes pas encore aux affaires, nous recevons leurs syndicats, confie un proche de Mahamadou Issoufou. Il n’est pas normal que notre corps médical compte plus de précaires que de titulaires. »

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Mahamadou Issoufou est socialiste depuis quarante ans. Aux côtés du Sénégalais Ousmane Tanor Dieng et du Guinéen Alpha Condé, il est même un pilier du comité Afrique de l’Internationale socialiste. La fibre sociale, il l’a depuis toujours. Depuis son premier engagement politique dans le G80 – un groupe clandestin créé au temps de la dictature Kountché, dans les années 1980. Cette fibre, il l’a développée pendant l’année où il a été Premier ministre (1993-1994) et, surtout, pendant sa longue cure d’opposition (1996-2011). D’où son surnom de « gauchiste ». Aujourd’hui, le nouveau président ne veut pas sacrifier le social sur l’autel de l’économie de marché.

Autant de défis qu’il ne lui sera possible de relever que si le pays reste en paix. D’expérience, Issoufou sait mieux que personne que les plus beaux projets de développement peuvent être anéantis par une nouvelle rébellion touarègue ou par une montée en puissance d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Pour le nouveau chef de l’État, un pouvoir démocratique n’est pas plus faible qu’un régime militaire. Il travaillera donc étroitement avec l’état-major de son armée – et avec les pays voisins – pour sécuriser ses frontières. 

Vieille garde

Afin de mener cette nouvelle politique, Mahamadou Issoufou va d’abord s’appuyer sur sa « vieille garde », des hommes de sa génération – quinquagénaires et plus – qui l’accompagnent depuis la conférence nationale de 1991. Parmi eux : Mohamed Bazoum, 51 ans, professeur de philosophie et vice-président du PNDS ; Foumakoye Gado, 62 ans, professeur de chimie et secrétaire général du parti présidentiel ; et Hassoumi Massaoudou, 54 ans, géologue – les mines, toujours… – et directeur de campagne du candidat Issoufou jusqu’à la victoire du 12 mars. Sans oublier Kalla Ankourao, 63 ans, ingénieur des travaux publics et ex-patron du groupe parlementaire du PNDS.

Outre les « politiques », le nouveau chef de l’État s’entourera de « technocrates », comme le juriste Alkache Alhada et les économistes Gilles Baillet – un métis – et Seydou Sidibé. Au Niger, on est loin de la parité. Aichatou Kané, chargée de la mobilisation pendant la campagne, est la seule femme de poids dans l’appareil du PNDS.

Nouvelle génération

Cependant, à la faveur de l’alliance qui a facilité son élection, Mahamadou Issoufou devra aussi confier des postes importants au Mouvement démocratique nigérien pour une Fédération africaine (Moden-Lumana), le jeune parti de l’ancien Premier ministre Hama Amadou, son allié du second tour. On s’attend à l’entrée au gouvernement de ses deux principaux lieutenants : Omar Hamidou Tchiana et Soumana Sanda. Que deviendra Hama Amadou lui-même ? Depuis le 12 mars, c’est la grande question.

Mahamadou Issoufou a le caractère bien trempé. Sa longue traversée du désert l’a prouvé. Pas sûr qu’il accepte de cohabiter avec un autre poids lourd de la politique nigérienne. Pour les observateurs, Hama Amadou n’ira donc pas à la primature, qu’il a occupée déjà pendant sept ans. Beaucoup le voient plutôt au perchoir de l’Assemblée nationale. À moins d’un rebondissement…

Reste la nouvelle génération d’hommes politiques. En 2009, Marou Amadou et Ibrahim Yacouba ont lutté courageusement contre le tazartché de Tandja. Pendant la transition, ils ont dirigé le Conseil consultatif national. « Demain, s’ils le souhaitent, ils seront dans notre nouvelle équipe », confie un proche d’Issoufou. Y aller ou pas ? C’est le dilemme. Pour ces figures de la société civile, le choix ne sera pas facile. 

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