Turquie : police de la pensée
Interdiction de YouTube, arrestations arbitraires, menaces de poursuites contre 4 000 journalistes… Et si un État AKP était en train de se substituer à « l’État profond » contrôlé par les militaires ?
Synthèse réussie de l’islam et de la démocratie ? À l’heure du printemps arabo-musulman, la Turquie n’est pas vraiment en pointe. Silence radio sur la Tunisie quand Ben Ali faisait tirer sur la foule… Condamnation virulente de Moubarak dans le seul but de contester le leadership de l’Égypte au Moyen-Orient… Complaisance avec Kadhafi jusqu’à ce qu’il devienne indéfendable… Amitié réaffirmée avec Assad au lendemain du bain de sang de Deraa… Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan fait primer l’intérêt immédiat de ses businessmen et ses affinités personnelles. Au risque de brouiller son image diplomatique.
En Turquie même, les réformes démocratiques s’enlisent. Dopé par ses succès électoraux, l’AKP, son parti, a fâcheusement tendance à substituer sa propre hégémonie à celle d’un camp laïc qu’il n’a cessé de saper. Un « État AKP » va-t-il supplanter « l’État profond » ?
Superflic en prison. Au vu des dérapages de l’affaire Ergenekon, cette crainte ne paraît pas infondée. La neutralisation du gang militaro-mafieux qui fomentait des coups d’État a d’abord réjoui ceux qui pensaient qu’une vraie démocratisation passait par l’affaiblissement de l’armée. Mais aujourd’hui, l’affaire sert aussi à museler toute forme d’opposition. Il ne fait pas bon enquêter sur des dossiers sensibles. Accusés de faire partie d’Ergenekon, l’ex-superflic Hanefi Avci et le journaliste Ahmet Sik sont en prison. Le premier avait publié un livre sur l’infiltration de la police par les disciples de Fethullah Gülen, ce prédicateur dont la confrérie essaime de l’Asie centrale à l’Afrique. Le second était sur le point de l’imiter, mais les fichiers informatiques de son tapuscrit ont été détruits lors de raids policiers.
Ces étranges procédés sont dénoncés par l’Union européenne, qui déplore depuis des mois des atteintes répétées à la liberté d’expression. De l’interdiction de YouTube aux arrestations arbitraires (50 journalistes en prison) et aux menaces de poursuites (pour 4 000 d’entre eux), la Turquie est mal placée pour en remontrer à ses voisins.
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