Pakistan – États-Unis : la fêlure

Entre les services de renseignements américain et pakistanais, ce n’est plus l’accord parfait. Pour lutter contre Al-Qaïda et les talibans, la CIA ne peut pas se passer de l’ISI. Celui-ci le sait et en profite pour affirmer son indépendance.

Les généraux Ashfaq Kayani et Ahmed Shuja Pasha, les patrons de l’armée pakistanaise et de l’ISI. © Sipa

Les généraux Ashfaq Kayani et Ahmed Shuja Pasha, les patrons de l’armée pakistanaise et de l’ISI. © Sipa

Publié le 11 avril 2011 Lecture : 3 minutes.

À l’ambassade américaine, à Islamabad, de terribles souvenirs hantent encore les esprits. Les fonctionnaires frémissent à la seule évocation de l’incendie de leurs locaux, en 1979, par des extrémistes musulmans. Une fausse information imputant aux Américains le bombardement de La Mecque avait mis le feu aux poudres. Les personnels n’avaient survécu qu’en s’enfermant dans un coffre-fort !

Fin janvier, l’arrestation de l’agent de la CIA Raymond Davis pour le meurtre de deux jeunes Pakistanais qu’il accusait d’avoir tenté de le détrousser (il a finalement été libéré le 16 mars) a ravivé ces peurs, dans un contexte d’antiaméricanisme croissant. Et aggravé les divisions entre la centrale de renseignements américaine et son alter ego pakistanais, l’Inter-Services Intelligence (ISI).

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L’ISI, c’est « l’État profond » (comme l’on dit en Turquie). Aucun civil n’a jamais pu mettre le nez dans ses affaires. À ses débuts, il avait noué des alliances avec divers groupes islamistes armés, avant de se résoudre à coopérer avec la CIA. D’abord pendant la guerre d’Afgha­ni­stan, dans les années 1980 ; puis, après les attentats du 11 Septembre, dans la traque des djihadistes d’Al-Qaïda. À Washington, cette collaboration est jugée indispensable à la lutte contre les talibans. « En dépit de quelques problèmes, nous travaillons ensemble depuis des années. C’est bien la preuve d’un excellent partenariat », estime George Little, un ancien de la CIA. Les frappes de drones dans l’ouest du pays sont jugées d’une importance stratégique capitale. Or elles ne peuvent avoir lieu sans l’aval d’Islamabad. Cela signifie que les Américains dépendent plus que jamais des Pakistanais – et de leurs agents secrets.

Pied d’égalité. L’affaire Davis a éveillé des suspicions quant au nombre d’agents américains présents au Pakistan. Selon l’armée, l’espion arrêté en contrôlait à lui seul au moins trois mille. Des négociations à ce sujet ont eu lieu entre Leon Panetta, le patron de la CIA, et le général Ahmed Shuja Pasha, celui de l’ISI, preuve que les deux centrales traitent désormais sur un pied d’égalité. Et donc, que la seconde a accru son autonomie. Du côté des services du frère ennemi indien, ces tensions ne sont pas une surprise. À les en croire, l’ISI s’est, ces dernières années, rapproché des Chinois, tandis que ses liens avec les Américains se sont distendus.

Fondé dans la foulée de la création du Pakistan, en 1947, par un officier britannique, le Major General R. Cawthome, l’ISI est aujourd’hui un État dans l’État et étend ses tentacules dans tous les secteurs de la société. Ses compétences couvrent le renseignement aussi bien intérieur qu’extérieur. C’est l’instrument privilégié de la domination de l’armée sur le pays.

Ses services n’hésitent pas à réprimer la population, en particulier dans la province rebelle du Baloutchistan (Sud-Ouest). Depuis des années, les associations des droits de l’homme accusent les forces armées de pratiquer la torture et les exécutions sommaires. L’ISI entretient un tel climat de crainte que les politiques préfèrent en parler sur un ton très modéré. Et les journalistes, par crainte de représailles, évitent de s’intéresser de trop près à ses activités.

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Qui dit mieux ? Au siège du service, dans le quartier d’Aabpara, à Islamabad, les fonctionnaires les plus âgés jugent que l’ISI ne ressemble à aucun autre service de ce type. Et qu’il est vital pour la défense du Pakistan, en particulier contre l’Inde. « C’est notre première ligne de défense contre toute menace extérieure », estime l’un d’eux. « Au cours des dix dernières années, renchérit un autre, nous avons collaboré avec 50 services à travers le monde. Nous avons participé à l’arrestation de plus de 700 membres d’Al-Qaïda, dont Khalid Cheikh Mohammed, l’un des organisateurs des attentats du 11 Septembre, et de plus de 600 talibans. Quelle organisation est aussi efficace ? » 

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