Marine Le Pen : la vengeance d’une blonde

Si Marine Le Pen est bien la fille de son père, elle s’en sépare sur un point capital : elle veut le pouvoir. À tout prix. En ce sens, elle n’est pas sans rappeler un certain Nicolas Sarkozy. Oui, oui, l’homme qui, en 2007, faillit avoir la peau du Front national…

Marine Le Pen, présidente du Front National, le 24 mars 2011 à Hénin-Beaumont (nord de la France) © AFP

Marine Le Pen, présidente du Front National, le 24 mars 2011 à Hénin-Beaumont (nord de la France) © AFP

ProfilAuteur_JeanMichelAubriet

Publié le 11 avril 2011 Lecture : 7 minutes.

À force de calembours sinistres et d’outrances xénophobes, Jean-Marie Le Pen avait fini par se rendre indésirable sur tous les plateaux de télévision. Et il s’en délectait : le rôle de l’ex-para paranoïaque harcelé par la « bande des quatre » principaux partis français (de l’époque) lui allait comme un gant. Marine, sa fille, est invitée partout, pérore sur tous les sujets et avance ses pions avec circonspection. Ses propos sont souvent discutables, mais rarement odieux : une fraction non négligeable de l’électorat, et pas seulement de droite, peut aisément se reconnaître en eux. Elle est en passe de réussir son opération de « dédiabolisation » du Front national. D’enfouir dans les oubliettes de sa propre histoire les oripeaux de la vieille garde frontiste, tribuns hurleurs, nervis ratonneurs et idéologues ténébreux théorisant ad nauseam la supériorité de la race blanche.

Les faits parlent d’eux-mêmes. Plusieurs sondages récents placent la cadette des filles Le Pen en tête des intentions de vote pour l’élection présidentielle de 2012, devant Nicolas Sarkozy ou le candidat du Parti socialiste, quel qu’il soit. Mieux, lors des élections cantonales des 20 et 27 mars, le FN, qu’on imaginait exsangue après la présidentielle de 2007, affiche une santé insolente. Avec plus de 15 % des suffrages exprimés au premier tour, alors que, par manque d’argent, il ne présentait de candidats que dans les trois quarts des cantons renouvelables, il obtient le meilleur score jamais réalisé par une formation d’extrême droite lors d’une élection locale et talonne l’UMP. Percée confirmée au second tour, même si, faute d’alliés, il n’obtient que 2 élus dans les 403 cantons où il a réussi à se maintenir. Désormais, toutes les autres formations sont contraintes de se déterminer par rapport à lui.

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Le "facteur" Marine

Le succès frontiste a certes des explications objectives : les crises économiques et financières qui ont plombé tout espoir de redressement du pouvoir d’achat, les errements politiques et, plus encore, comportementaux de Nicolas Sarkozy, qui désespèrent jusqu’à ses plus fervents partisans, les inégalités sociales flagrantes, les affaires, les scandales, les ministres trop ouvertement incompétents, les changements de cap au premier coup de vent, les promesses non tenues, les débats oiseux sur l’islam ou la laïcité… Sans doute, sans doute… Reste que le « facteur Marine » a joué un rôle déterminant. 

Gouaille populiste. Elle est la fille de son père, ça vous étonne ? Oh ! certes, elle n’a pas encore la stature d’un menhir. Elle n’a pas perdu un œil dans quelque rixe électorale et s’abstient d’entonner des chants nazis dans une brasserie de la place de la République. Mais comment s’y tromper ? Cette gouaille de walkyrie populiste… Cette brutalité désormais domestiquée, mais point éradiquée, qu’on sent sourdre dans tel geste d’impatience, tel regard assassin à l’adresse d’un contradicteur… « Une vraie famille de pitbulls, commente (dans le quotidien Libération) Lorrain de Saint Affrique, l’ex-conseiller de l’ex-président du Front national. Essayez de leur retirer leur gamelle, pour voir. » En 2007, Sarkozy s’y est essayé et y a presque réussi. Les pitbulls vont lui faire regretter ce « presque ».

Oui, Marine est bien la fille de Jean-Marie. Mais à certains égards, elle est aussi son contraire. À l’heure d’internet et de la mondialisation, comment prendre encore au sérieux les nostalgies crépusculaires du vieux ? Son folklore groupusculaire ? La Seconde Guerre mondiale n’obsède pas l’héritière du clan. Et la perte de l’empire colonial, pas davantage. Jeanne d’Arc, Pierre Poujade et l’OAS ? Passons. O tempora ! O mores !

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Il y a plus sérieux. On s’est parfois demandé si Jean-Marie Le Pen, qui a toujours conservé un vieux fond anarchisant, avait jamais eu la volonté d’accéder au pouvoir. Si la posture du chef de meute révolté contre l’ordre établi ne suffisait pas à son ego pourtant démesuré. Fils de marin pêcheur, miraculeusement enrichi sur le tard (sa fortune lui fut léguée, à sa mort prématurée, par l’héritier éthylique d’un défunt groupe cimentier), il n’a jamais fréquenté l’establishment qu’à sa marge. Prisonnier d’une mentalité d’assiégé, il ne s’est pas entouré d’hommes capables de gouverner. Le vent de panique qui balaya le « Paquebot », l’ancien siège du Front à Saint-Cloud, après l’annonce de la qualification du capitaine pour le second tour de la présidentielle de 2002 a eu valeur de preuve. Par l’absurde.

Le pouvoir, vite. Marine, en revanche, est une jeune femme pressée, que l’illusion du pouvoir n’abuse pas. Elle veut en jouir, et vite. Elle ne devrait pas y parvenir en 2012, mais, à 42 ans, tout espoir n’est pas perdu. Avocate de formation, elle fut inscrite au barreau de Paris jusqu’en 1998, avant d’entreprendre une carrière d’élue au Parlement européen, en région Île-de-France et dans ce Nord - Pas-de-Calais tragiquement désindustrialisé qui ne comprend ni la logique ultralibérale consistant à « faire fabriquer par des esclaves [étrangers] pour vendre à des chômeurs [français] », ni le recours à une immigration massive – ce « tsunami migratoire », dit-elle – dont l’intégration ne va pas de soi.

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Parallèlement, dans l’ombre lointaine mais protectrice de son père, elle a, depuis vingt ans, gravi tous les échelons du FN jusqu’à la présidence, aisément conquise, en janvier, face à Bruno Gollnisch, champion d’une vieille garde de plus en plus grincheuse et déprimée. Cette dernière ne lui a pas pardonné la désastreuse campagne présidentielle de 2007, qu’elle dirigea pour le compte de son père. Pour ces grognards de l’ultradroite, l’héritière n’est qu’une opportuniste prête à tout pour accéder au sommet. Même à s’allier à la droite la moins extrême. Elle est la fille indigne de son père, la petite sœur de Nicolas Sarkozy. Et si, par exception, ils n’avaient pas tort ?

Marine contredit Jean-Marie

Car en dehors de la question de l’immigration, fonds de commerce pour le moment intangible de la boutique « nationale », Marine a déjà opéré sur la majorité des sujets un virage sur l’aile. Comme l’écrivent Philippe Cohen et Laureline Dupont dans l’hebdomadaire Marianne, son discours « contredit toute la rhétorique politique, antiétatiste, néolibérale, antirépublicaine et anticommuniste » de son père. Elle est par exemple favorable à la suppression de l’impôt sur la fortune, soutient les enseignants ulcérés par les suppressions de postes et n’exclut pas un rétablissement de l’échelle mobile des salaires et des prix. « Mes pensées, ce sont mes catins », faisait dire Diderot au neveu de Rameau. Pour Marine Le Pen, comme d’ailleurs pour Nicolas Sarkozy et beaucoup d’autres, elles sont de simples arguments de marketing politique. Qu’importe ce qu’elles disent et d’où elles viennent pourvu qu’elles rencontrent un écho fugitif dans l’opinion. Dans un débat radiophonique houleux avec Jean-Luc Mélenchon, le leader du Parti de gauche, ne l’a-t-on pas entendue invoquer les mânes de feu Georges Marchais, l’inénarrable secrétaire général du PCF d’avant la chute ?

 New look. Cet aggiornamento est donc beaucoup moins doctrinal que tactique. Il ne fait guère de doute que Marine Le Pen a étudié avec soin l’extraordinaire campagne présidentielle de Sarkozy en 2007. Comme lui, elle recense les innombrables problèmes sociaux et sociétaux provoqués par les mutations économiques en cours, propose, sans souci excessif de cohérence, des solutions empruntées à d’autres et multiplie les promesses, qui, comme on le sait, n’engagent que ceux qui les reçoivent. Tous les mécontents sont, à un titre ou à un autre, des électeurs potentiels de ce FN new look.

Figés dans leurs certitudes et leur passion paradoxale pour l’échec, les sauriens frontistes s’étouffent d’indignation, mais c’est sans importance : à peine intronisé, leur chef s’abstient de les consulter. Le nouveau siège du parti, à Nanterre, n’est plus qu’une coquille vide où se succèdent les huissiers mandatés par des créanciers à bout de patience. Tout se passe désormais à Montretout, la propriété du clan Le Pen à Saint-Cloud, où la patronne a mis en place une sorte de cabinet de l’ombre constitué d’une trentaine d’experts et de chercheurs surdiplômés venus de tous les horizons – mais surtout de la haute administration. C’est l’avocat Louis Aliot, son compagnon et numéro deux du parti – au FN, le pouvoir ne sort jamais vraiment de la famille –, qui assure l’hypothétique cohérence de cette « seconde équipe ».

Le seul problème pour l’instant insoluble du Front national est l’état désastreux de ses finances, que l’échec électoral de 2007 a contribué à aggraver. C’est bien simple, il est virtuellement en faillite. En 2009, le montant de ses dettes avoisinait 12 millions d’euros. Ses revenus sont en chute libre et les deux dernières subventions publiques dont il bénéficie, comme les autres partis, ont été saisies. Jean-Marie Le Pen comptait sur la vente de l’énorme « Paquebot », mais les acheteurs ne se bousculent pas. En décembre 2010, la Société générale, dont la créance s’élève à 5,2 millions d’euros, a déposé une demande de saisie immobilière sur le bâtiment. Le Front a obtenu d’un juge un sursis de deux mois pour trouver une solution à l’amiable. Aux dernières nouvelles, la présidente réfléchirait à la création d’une nouvelle formation. Pas question, n’est-ce pas, de plomber sa campagne présidentielle par des problèmes d’intendance… 

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