Maroc : les partis politiques face aux défis de la réforme constitutionnelle

Face à un calendrier très serré, les partis politiques n’ont pas tardé à tirer les enseignements de la volonté réformatrice de Mohammed VI.

Le mouvement du 20 février ne relâche pas la pression. © AFP

Le mouvement du 20 février ne relâche pas la pression. © AFP

Publié le 13 avril 2011 Lecture : 5 minutes.

Un mois après le discours de Mohammed VI, le 9 mars, annonçant une révision de la Constitution du Maroc, Driss Lachgar, ministre socialiste des Relations avec le Parlement, en parle encore avec une émotion toute contenue. « C’est historique, explique cet avocat de formation. Le roi est allé très loin dans sa volonté de changer les choses. C’est le fruit d’une longue réflexion sur la régionalisation, l’identité nationale, l’autonomie des provinces sahariennes, le besoin de codifier les recommandations de l’Instance Équité et Réconciliation. »

Face à un calendrier très serré – la nouvelle Constitution sera soumise à référendum d’ici à la fin de l’année – et des échéances électorales qui pourraient se présenter dans moins d’un an, les partis sont aspirés par cette volonté réformatrice. Sont-ils en mesure de relever le défi ? « En ce qui nous concerne, poursuit Lachgar, le mémorandum des socialistes sur la révision de la Constitution est prêt depuis 2009. Une copie a même été remise au cabinet royal avant les communales du 12 juin de la même année. Nous venons d’actualiser nos propositions, qui ont été validées par le conseil national du parti, le 27 mars. » La presse s’est fait l’écho de ce travail et a même laissé entendre qu’Abderrahmane Youssoufi, ancien Premier ministre socialiste, de 1998 à 2002, jouait un rôle en coulisses. « Ce n’est pas sérieux, corrige l’un de ses proches. Il s’intéresse, bien sûr, à l’évolution de la vie politique. Ses amis le consultent à titre personnel. Mais il s’est retiré définitivement de la vie publique. »

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Fin de l’impunité

Le 28 mars, l’Union socialiste des forces populaires (USFP) a donc rendu sa copie à la Commission consultative de révision de la Constitution (CCRC), présidée par Abdeltif Menouni. Renforcement des prérogatives du chef du gouvernement, notamment en matière de nomination des ministres, hauts fonctionnaires, patrons d’entreprises publiques, ambassadeurs ; élargissement des attributions et compétences du Parlement ; meilleur contrôle des politiques et des établissements publics… Les socialistes se sont engagés pleinement dans la voie ouverte par le souverain et visent, à terme, la mise en place d’une monarchie parlementaire. Le roi conserverait un rôle d’arbitre et de gardien des frontières entre les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif, mais aussi des prérogatives en matière de religion et de défense.

Comme l’USFP, l’Istiqlal, arrivé en tête aux législatives de 2007, a vite tiré les enseignements du discours royal. En cette soirée du 9 mars, Abbas El Fassi n’est pas présent à son domicile pour animer la réunion hebdomadaire du comité exécutif du parti. Mohammed VI l’a convié à assister à son discours. Une demi-heure plus tard, le Premier ministre rejoint les siens. « C’est un discours très important, leur lance-t-il. Il ne s’agit pas d’une réforme constitutionnelle mais d’une nouvelle Constitution. » Le soir même, l’Istiqlal décide de mettre en place une commission présidée par Moulay M’Hammed El Khalifa, ancien bâtonnier de Marrakech. Plusieurs axes de réflexion sont lancés sur le rôle du Parlement, les libertés publiques, la bonne gouvernance, l’identité marocaine. Une réunion du comité central était prévue le 2 avril afin d’entériner les propositions du « parti de la balance ».

Au Parti de la justice et du développement (PJD), le discours royal a suscité de grands espoirs. La formation islamiste a déposé quatre-vingts propositions ambitieuses, dont la création d’un Haut Conseil de l’État, composé du roi, du chef de gouvernement, des présidents des deux Chambres du Parlement, qui aurait compétence sur les questions de représentativité à l’étranger, de souveraineté nationale, de pouvoirs religieux et d’arbitrage. Elle appelle aussi à de nouvelles alliances politiques. « Depuis les communales, l’Istiqlal, l’USFP et le PJD travaillent main dans la main dans plusieurs villes. Les populations adhèrent à nos projets », soutient Mustapha Khalfi, patron du journal Attajdid (proche du parti). D’ici au 5 avril, les trente-quatre formations politiques du pays auront déposé leurs propositions.

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En attendant, le mouvement du 20 février ne relâche pas sa vigilance. Le 27 mars, quelques centaines de manifestants se sont donné rendez-vous place Nevada, à Casablanca. Ils répondaient à un nouvel appel lancé sur Facebook pour maintenir la pression. « Ce n’est plus au roi qu’il faut arracher la démocratie, explique dans TelQuel Karim Tazi, militant associatif et patron du groupe Richbond, mais à une hydre multicéphale, honteusement enrichie par le clientélisme et la corruption, et qui n’a aucunement l’intention de laisser des réformes ambitieuses mettre en péril ses colossaux intérêts. À cette nomenklatura aussi influente dans les rouages de l’État que dans les milieux d’affaires et au sein des partis politiques, le discours du 9 mars n’annonce rien de moins que la fin de l’impunité. » Les manifestants les plus radicaux, eux, demandent la démission du gouvernement et la dissolution du Parlement.

Il est vrai que des rumeurs ont couru sur un changement de Premier ministre – on a même évoqué l’installation de Mostafa Terrab, patron de l’Office chérifien des phosphates (OCP), dans le fauteuil d’El Fassi. « Je ne vois pas l’utilité de changer de chef de gouvernement ou de procéder à un remaniement, soutient un istiqlalien. On veut réduire les pouvoirs du roi, et il procéderait à de nouvelles nominations en toute souveraineté ? On ouvrirait une crise politique. Par contre, les législatives, prévues en septembre 2012, pourraient être couplées avec les régionales au premier trimestre 2012. » Cela aurait un double avantage : l’économie liée à la réduction du nombre de scrutins et la relance plus rapide d’une nouvelle dynamique politique.

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Transhumance

La nouvelle donne royale a aussi relancé la transhumance politique, mais dans un autre sens. Les formations réputées proches du Palais connaissent leurs premières défections. La plus médiatisée a été celle de Samir Abdelmoula, l’ex-maire de Tanger, qui a quitté le Parti Authenticité et Modernité (PAM) pour rejoindre le PJD. Un crime de lèse-majesté, le parti de Fouad Ali El Himma ayant, semble-t-il, été créé dans l’optique de faire barrage aux islamistes. « L’ami du roi », cible des manifestants du 20 février, se fait aujourd’hui très discret, mais continue d’assister aux réunions du parti.

Salaheddine Mezouar, président du Rassemblement national des indépendants (RNI) et ministre de l’Économie et des Finances, a, quant à lui, annoncé l’organisation d’un congrès anticipé en juin. Objectif ? Transformer une formation de personnalités en parti organisé, structuré, avec une ligne idéologique ancrée dans le libéralisme social. Mezouar a réaffirmé son alliance avec le PAM et l’Union constitutionnelle et ouvert la voie à une logique de « pôles », une solution préconisée pour enrayer la balkanisation de la vie politique. Pour beaucoup d’observateurs, les gagnants des scrutins de 2012 seront ceux qui auront su faire leur aggiornamento pour mériter le label de « parti réformateur ».

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