Que reste-t-il de l’opposition camerounaise ?

Elles sont loin, les manifestations qui, en 2008, avaient fait trembler Yaoundé. Démunis, éparpillés, les adversaires du président camerounais Paul Biya pourraient ne pas lui offrir une trop grande résistance lors de la présidentielle d’octobre.

L’opposition camerounaise est orpheline de ses opposants historiques. © Glez pour J.A.

L’opposition camerounaise est orpheline de ses opposants historiques. © Glez pour J.A.

Clarisse

Publié le 13 avril 2011 Lecture : 5 minutes.

Ils rêvaient de battre le pavé une fois par semaine pour faire tomber le régime de Paul Biya, 78 ans, dont vingt-huit au pouvoir. Mais les activistes de la Nouvelle Opposition camerounaise (NOC), une coalition de jeunes acteurs politiques, ont déchanté dès leur première sortie, le 23 février. Ils devaient, ce jour-là, commémorer les émeutes de 2008. Comme trois ans plus tôt, et comme au début des années 1990 lors des opérations « villes mortes » qui avaient abouti à des élections pluralistes, ils se sont heurtés à un important dispositif de sécurité déployé par un gouvernement rendu fébrile par les révolutions arabes. Sauf que, cette fois, la population n’a pas suivi.

« Certes, il y a un mécontentement, mais il manque aux couches les plus démunies un véritable élément déclencheur, comme la hausse des prix des denrées de première nécessité en 2008 », explique René Tamla, conducteur de moto-taxi à Douala, qui avait jusqu’ici participé à toutes les manifestations.

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Parfois lancés par des organisations totalement inconnues, les derniers mots d’ordre ont été jugés confus, voire carrément irréalistes, comme celui qui demande le départ du chef de l’État à quelques mois de la présidentielle d’octobre (« Biya must go », « Biya doit partir »). Dans les années 1990, non seulement les mouvements étaient structurés et bien organisés, mais ils bénéficiaient d’importants relais politiques, sociaux et médiatiques, tout en étant portés par l’espoir d’une rupture radicale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui  et les Camerounais, résignés, se désintéressent d’un scrutin qui leur semble joué d’avance. Le nombre d’inscrits sur les listes rendues publiques au 31 mars en témoigne : 900 000 électeurs sur les 5 millions attendus.

L’opposition est en fait orpheline de ses leaders historiques. Apparus dans l’euphorie du retour au multipartisme, ils n’occupent plus le terrain. John Fru Ndi est bien candidat à l’investiture du Social Democratic Front (SDF), mais n’exclut pas de boycotter le scrutin en l’absence de garantie de transparence. Surnommé Suffer Don Finish (« Fini la souffrance », en pidgin) dans les milieux populaires, son parti a perdu de son aura. Et les accusations d’autoritarisme dont Fru Ndi est l’objet, les dissidences répétées, ainsi que le rapprochement avec Paul Biya ont fini par le décrédibiliser aux yeux de nombre de Camerounais.

Certains opposants ont survécu en ralliant les différents gouvernements Biya. C’est le cas d’Issa Tchiroma Bakary. Issu des rangs du Front pour le salut national du Cameroun (FSNC), il cumule les casquettes de ministre de la Communication et de porte-parole du gouvernement. Il est le seul membre de l’opposition habilité à tenir meeting hors de son fief d’origine. Ou encore de Bello Bouba Maïgari, de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), qui détient le portefeuille des Transports.

Poids moyens

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Les autres personnalités aptes à donner de la voix ont été repoussées vers la périphérie et leur assise se limite à leur région d’origine. L’influence de Dakolé Daïssala, à la tête du Mouvement pour la défense de la République (MDR), est ainsi confinée au département du Mayo-Kani (Extrême-Nord). Quant à Adamou Ndam Njoya, maire de Foumban, il n’a aucun représentant en dehors du département du Noun. Il n’a jamais obtenu l’autorisation du sous-­préfet pour organiser un meeting à Douala, où il pourrait rallier la forte communauté bamoune qui y réside.

Et puis il y a les poids moyens, totalement défaits, comme Victorin Hameni Bieleu, président de l’Union des forces démocratiques du Cameroun (UFDC), qui, en 2007, n’a même pas pu briguer la mairie de Bana, dans le Haut-Nkam (Ouest), dont il est originaire. Sa liste avait été rejetée au profit de celle du milliardaire Joseph Kadji Defosso, « mandaté » pour l’écarter. Dans les quelques formations politiques qui ont tenté, malgré tout, d’avoir une audience nationale, Paul Biya a manœuvré pour créer des défections ou faire jaillir de nouveaux partis pour semer la confusion. L’Union des populations du Cameroun (UPC), autrefois puissante, a explosé. Elle seule paraissait pouvoir inquiéter le parti au pouvoir dans le Littoral.

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De nombreuses autres formations n’ont même pas de représentativité, leur visibilité étant davantage médiatique. C’est le cas du Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (Manidem) d’Anicet Ekanè, et du Mouvement progressiste (MP), de Jean-Jacques Ekindi. Candidat pour la troisième fois à la présidence, ce dernier a enlevé l’unique siège de son parti lors des législatives de juillet 2007. Quant aux formations qui n’ont pas d’élu, elles ont été clochardisées, les financements publics étant réservés aux seuls partis représentés soit dans les mairies soit à l’Assemblée nationale.

Cavalier seul

Affaiblie face à un pouvoir puissant, l’opposition est éparpillée en centaines de formations sans assise, sans moyen de survie, et qui jouent le jeu du pouvoir en s’isolant plutôt que de s’organiser pour affronter le président sortant. Néanmoins, une nouvelle génération d’opposants tente de rebâtir sa crédibilité et de la faire apparaître comme une vraie alternative. Comme le député Jean-Michel Nintcheu, responsable SDF de la région Littorale, qui fait cavalier seul depuis au moins trois ans. En 2008, il était à la tête du mouvement de protestation contre une modification de la Constitution, lequel a ensuite servi de ferment aux émeutes de la faim. Toujours au sein du SDF, Célestin Djamen, de la section France, sera candidat à la présidence du parti lors du congrès du mois d’avril. Mais il trouvera sur son chemin le vice-président Joshua Osih, également pressenti pour l’après-John Fru Ndi. Et l’UPC et le Manidem comptent, eux aussi, de très nombreux jeunes cadres prêts à reprendre le flambeau.

Formés au leadership et à l’animation de mouvements sociaux, ils investissent associations et syndicats de tous les secteurs. Pour rallier une plus grande frange de la population, l’opposition crée désormais de multiples associations satellites, comme Cameroon Ô’Bosso, de Kah Walla. « C’est aux associations qu’il appartient d’appeler à la mobilisation des masses, et non aux partis », estime Bernard Muna, transfuge du SDF et président de l’Alliance des forces progressistes (AFP), qui vient de déclarer sa candidature à la magistrature suprême.

Leur atout majeur réside dans leur hypermédiatisation. Rompus à l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux – Kah Walla dispose d’une liste de diffusion de plus de 10 000 correspondants sur l’ensemble du territoire –, ils participent à des débats sur les chaînes de télévision et signent des chroniques dans des journaux. Mais il leur manque encore un véritable ancrage sur le terrain. Ils n’ont pas cette assise qui leur permettrait d’inquiéter la puissante base du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir). Aucun d’entre eux pourtant ne doute d’avoir l’étoffe d’un homme ou d’une femme d’État. 

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