Élections au Nigeria : Goodluck, avec un peu de chance

Le sort lui a souvent donné des coups de pouce. Arrivé au pouvoir à la mort de son prédécesseur, Jonathan est candidat à la présidentielle nigériane du 16 avril. Chronique d’une victoire qui s’annonce serrée.

Il est devenu, en janvier dernier, le candidat officiel du parti au pouvoir. © Akintunde Akinleye/Reuters

Il est devenu, en janvier dernier, le candidat officiel du parti au pouvoir. © Akintunde Akinleye/Reuters

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Publié le 15 avril 2011 Lecture : 5 minutes.

Il est une blague qui circulait à Lagos, en mai 2010. À 53 ans, Goodluck Jonathan venait d’accéder à la tête de l’État, quelques jours seulement avant que le président Umaru Yar’Adua, élu en 2007 mais malade depuis de longs mois, ne s’éteigne. Jonathan, disait-on alors, allait résoudre tous les problèmes, puis se retirerait après avoir organisé des élections propres, sans solliciter un second mandat, de manière à pouvoir remporter le prix Mo-Ibrahim… Les Nigérians ont le sens de l’humour.

Issu d’une famille qui construisait des bateaux de pêche dans la région du Delta, Jonathan a d’abord pu sembler naïf. Mais la manière dont il a joué des rivalités de la classe politique en cette difficile période de transition laisse deviner une pensée politique plus sophistiquée.

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Gentlemen’s agreement

Rien n’était pourtant gagné. Depuis la fin du régime militaire, en 1999, le Nigeria a vécu sous le règne du People’s Democratic Party (PDP). Lorsque Jonathan, un Ijo du Sud, est devenu le candidat du parti au pouvoir, en janvier, il a rompu le gentlemen’s agreement propre au parti selon lequel la présidence doit « tourner » entre nordistes et sudistes. Si sa victoire, le 9 avril, fait peu de doute, les résultats pourraient néanmoins être serrés.

Capitalisant sur les inquiétudes du Nord, les deux principaux partis d’opposition que sont le Congress for Progressive Change (CPC) et l’Action Congress of Nigeria (ACN) présentent des candidats nordistes et font campagne sur une thématique « mains propres ». Le candidat de l’ACN, Nuhu Ribadu, était à la tête de la Commission des crimes économiques et financiers (EFCC), tandis que celui du CPC, le militaire Muhummadu Buhari, est l’ancien chef de l’État qui mena une « guerre contre l’indiscipline » dans les années 1980. S’il y a un second tour, et si l’opposition s’unit derrière le candidat restant, Jonathan devra jouer finement.

Il est loin, le moment de grâce dont a, un temps, bénéficié le nouveau chef de l’État. L’électorat est jeune, connecté via Facebook et Twitter, et la campagne est mieux suivie qu’autrefois. Ainsi, les critiques n’ont pas manqué quand Jonathan a refusé de prendre part au premier débat organisé sur la chaîne de télévision NN24 et préféré accorder une interview à D’Banj, star de la musique nigériane.

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Goodluck Jonathan, pourtant, connaît la chanson. Il est le premier chef d’État africain à envoyer des messages via Facebook. Aux personnes qui le suivent sur internet, il a récemment écrit : « Jugez les gens sur leur comportement, qu’ils peuvent contrôler, pas sur leur origine, qu’ils ne peuvent pas contrôler. »

Fautes de grammaire

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Certaines questions difficiles ont été soulevées quant à l’épuisement rapide de l’Excess Crude Account (ECA), le compte sur lequel l’État nigérian place les revenus du brut. En octobre dernier, il n’était plus crédité que de 500 millions de dollars, contre 20 milliards de dollars en 2007. À Lagos, on laisse entendre que l’argent aurait été utilisé pour acheter le soutien des puissants gouverneurs nigérians. Réponse de Goodluck Jonathan : « Je n’ai aucun compte, aucune propriété à l’étranger. Tous mes enfants vivent et étudient au Nigeria. Je suis fidèle à ma femme et à mes amis. Ceux qui m’accusent peuvent-ils en dire autant ? »

Sa femme, Patience, est justement la cible de nombreuses attaques. Elle a été accusée par l’EFCC de blanchiment d’argent, à hauteur de 13,5 millions de dollars, en 2006. Dans les médias, on raille sa maîtrise de l’anglais comme d’autres ont moqué les fautes de grammaire de George W. Bush.

Soucieux d’acquérir une stature internationale, Goodluck Jonathan s’est clairement exprimé sur le conflit en Côte d’Ivoire, au risque de prendre le contre-pied du président sud-africain, Jacob Zuma. Le 23 mars, le chef de l’État nigérian avait ouvert le sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) en demandant aux Nations unies plus de fermeté. Mais il lui manque encore la subtilité du diplomate aguerri. Le 18 mars, cinq jours seulement après la tenue de la présidentielle au Bénin, il s’est rendu à Cotonou et a invité « les candidats et les électeurs à accepter les résultats des élections », ajoutant que le Nigeria « n’accepte[rait] pas la violence et la guerre à sa porte ». À Cotonou, plusieurs ont laissé entendre que le Nigeria était mal placé pour donner des leçons.

Mais c’est bien sûr des questions de politique intérieure que se jouera l’élection. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, Jonathan avait déclaré avoir trois priorités. La première était d’organiser des élections plus propres que celles qui les avaient portés, Yar’Adua et lui, à la tête de l’État. Des progrès ont été réalisés : Jonathan a renvoyé le chef de la Commission électorale indépendante, l’impopulaire Maurice Iwu, pour le remplacer par le respecté Attahiru Jega.

La deuxième priorité était d’améliorer la situation sécuritaire dans le Delta. Parce qu’il est lui-même originaire de l’État de Bayelsa, la chose paraissait possible. Mais en octobre, lors de la célébration des 50 ans de l’indépendance à Abuja, deux bombes ont tué douze personnes. La manière dont Jonathan a géré l’affaire, en tentant de faire porter le chapeau à des hommes politiques du Nord alors que la responsabilité d’activistes du Delta était évidente, a été désastreuse.

Enfin, Jonathan avait promis de régler le problème de l’alimentation en électricité. On compte, au Nigeria, 27 personnes pour chaque kilowatt produit – contre 1 personne en Afrique du Sud et 8 en Indonésie. Dans un pays où tout le monde utilise des générateurs diesel, les importateurs de carburant bloquent les réformes pour protéger leurs marges. À la tête de Zenon Oil, Femi Otedola, le roi du diesel, se classe à la 601e place dans le classement Forbes des personnes les plus riches du monde, avec 1,2 milliard de dollars d’avoirs nets en 2009. Il fait partie du comité de campagne de Goodluck Jonathan.

En réalité, ce dernier manque surtout d’une base politique. Sa force lui vient d’un proche bienfaiteur – ou parrain, comme il se dit parfois au Nigeria –, un certain Olusegun Obasanjo, président de 1999 à 2007. Obasanjo qui rêvait d’un troisième mandat et que Jonathan avait soutenu dans son ultime tentative pour y parvenir. L’actuel président bénéficie donc désormais du soutien d’un redoutable politicien qui est, lui, persuadé de pouvoir contrôler son poulain.

Quelle sera la marge de manœuvre de Jonathan ? Dépendra-t-il, s’il est élu, de ceux qui l’ont soutenu : le Delta, les hommes d’affaires, les gouverneurs du PDP ? Une chose est sûre : Jonathan a dû passer beaucoup d’accords pour parvenir et rester au sommet.

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