République maçonnique gabonaise
En 2009, le président Ali Bongo Ondimba était intronisé grand maître de la Grande Loge du Gabon. Décryptage d’un rituel auquel assistait tout le gratin du pays.
Ces francs-maçons qui vous gouvernent
La cérémonie du 31 octobre 2009 était censée être réservée aux initiés. Mais l’intronisation d’Ali Bongo Ondimba comme grand maître de la Grande Loge du Gabon a fini en vidéo sur internet. Si le film a confirmé que Libreville est bien une terre d’élection maçonnique en Afrique francophone, il révèle aussi la force d’attraction des loges sur l’élite de ce pays. « On dirait un Conseil des ministres élargi aux membres du Parlement, au secteur privé, à la haute administration et aux invités expatriés », soupire un journaliste. Plus besoin d’observer les « frères » par le petit trou de la serrure. En quelques clics de souris, les profanes peuvent désormais regarder le rituel théâtralisé comme s’ils y étaient invités.
À l’entrée du temple – une salle de la présidence de la République – officie Jean-Lié Massala, directeur de la régulation chez l’opérateur télécoms Zain Gabon. Il tient un battant de la porte pour laisser passer des dizaines d’invités étrangers transportés par un avion de la flotte présidentielle. Parmi eux, François Stifani, un avocat d’affaires niçois intronisé en 2007 grand maître de la Grande Loge nationale française (GLNF). À leur suite, une bonne brochette des 500 initiés que compte la capitale gabonaise.
On y reconnaît le ministre d’État chargé des Affaires étrangères, Paul Toungui, son collègue de l’Éducation nationale, Séraphin Moundounga, le doyen d’âge du sénat Marcel Sandoungout, le secrétaire général du parti présidentiel Faustin Boukoubi, le patron du Conseil national de sécurité Léon Paul Ngoulakia, le président du Conseil national de la communication Emmanuel Ondo Methogo, le directeur général de la Société gabonaise d’entreposage des produits pétroliers Christophe Akagha Mba, le président de l’Agence de régulation des télécommunications Marius Founguès, mais aussi Jacques Rogombé, l’époux de l’ex-présidente intérimaire Rose Francine Rogombé, plusieurs généraux de l’armée et même plusieurs cadres de l’opposition… Si le film avait eu un générique de fin, on y lirait les noms de l’actuel ministre de l’Habitat, Blaise Louembé, et du directeur de la communication du Centre international des recherches médicales de Franceville, Norbert Mouyabi, les deux auteurs des images.
Absents de la cérémonie, les « frères » de la Grande Loge symbolique du Gabon (GLSG), cornaquée par l’ancien ministre des Mines, Richard Onouviet, et qui compte notamment dans ses rangs le président de l’Assemblée nationale, Guy Nzouba Ndama, le président du Fonds gabonais d’investissements stratégiques, Claude Ayo Iguendha, et le patron de Pétro Gabon, Jean-Baptiste Bikalou.
Religion d’État. Introduite au Gabon par la colonisation française, la franc-maçonnerie est devenue une véritable « religion d’État ». Les deux premiers présidents, Léon Mba et Omar Bongo Ondimba, furent d’illustres « fils de la “Veuve” ». Ce dernier fonde deux ordres : le Grand Rite équatorial, affilié au Grand Orient de France, et Dialogue, sous les auspices de la GLNF, qui deviendra plus tard la Grande Loge du Gabon. L’initiation est un gage de fidélité envers le pouvoir. La soumission au maître vaut allégeance au président. Mais en 1996, le prêtre défroqué et opposant historique Paul Mba Abessole est le premier à qualifier la franc-maçonnerie gabonaise de « corrompue », dans le journal Le Bûcheron. « Elle a légitimé le clientélisme, dénonce un cadre de l’administration. C’est une sorte d’ascenseur social. » Impossible, quand on n’est pas passé sous le bandeau, d’accéder à certains postes, réservés aux « frères ». Quid de la quête de spiritualité ?
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