Libye : le cercle des fidèles disparus

Au fil des jours, les proches de Kadhafi sont de plus en plus nombreux à prendre le large. Parmi eux, Moussa Koussa et Ali Triki, deux figures emblématiques de la Jamahiriya.

Moussa Koussa, à Tripoli, le 18 mars. Il était encore, alors, ministre des Affaires étrangères.. © Xinhua/Notimex/AFP

Moussa Koussa, à Tripoli, le 18 mars. Il était encore, alors, ministre des Affaires étrangères.. © Xinhua/Notimex/AFP

Publié le 8 avril 2011 Lecture : 5 minutes.

Otage de son propre orgueil, Mouammar Kadhafi, l’autoproclamé « roi des rois d’Afrique », voit son entourage l’abandonner au fur et à mesure qu’il s’obstine à continuer sa guerre contre son propre peuple. « Le Guide et ses enfants sont en Libye et y resteront jusqu’à la fin », a déclaré Moussa Ibrahim, son porte-parole officiel, le 31 mars. Sujet à de multiples défections, le premier cercle de Kadhafi ne cesse de rétrécir. Au point qu’il est désormais plus facile de compter ceux qui sont encore à ses côtés que ceux qui l’ont lâché. « Les seuls qui restent sont les membres de sa famille… quand ils ne se cachent pas », ironise Abdelmonem el-Houni, qui fut l’un de ses compagnons lors du putsch de 1969, puis le représentant permanent de la Libye auprès de la Ligue arabe et, enfin, l’un des premiers dignitaires du régime à rejoindre les rangs de l’insurrection. « Les derniers qui continuent à diriger les opérations sont Kadhafi et trois de ses fils, Seif el-Islam, Khamis et Mootassem », ajoute Houni. Le dernier carré des fidèles se compose d’Abdallah Senoussi, l’ancien patron des services de renseignements intérieurs, qui coordonne difficilement les opérations des brigades mobiles ; d’Abdallah Mansour, responsable de la télévision, et de Youssef Abdelkader Dibri, le chef de la sécurité personnelle de Kadhafi. Ce dernier garde aussi près de lui deux têtes pensantes des comités révolutionnaires : son cousin Ahmed Ibrahim, ainsi que leur coordinateur, Abdelkader el-Baghdadi.

Pour échapper aux frappes aériennes, le « Guide » et sa famille ont quitté leur résidence à la caserne de Bab el-Azizia dès le 17 mars, le jour de l’adoption de la résolution de l’ONU établissant une zone d’exclusion aérienne. Lors de son unique apparition publique, devant les caméras de télévision, le numéro un libyen a exhorté ses partisans à la mobilisation. Depuis, il se terre – jamais au même endroit –, avec Safia, son épouse, Saadi, Hannibal, Seif el-Arab, trois de ses fils, et Aïcha, sa fille. La plupart des dignitaires qui n’ont pas pris la fuite se sont vu retirer leur passeport et l’on est sans nouvelles, depuis le début de la révolte populaire, de la plupart des membres du gouvernement.

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Deux d’entre eux, Moustapha Abdeljalil et le général Abdelfettah Younes Oubeidi, respectivement ministres de la Justice et de l’Intérieur, ont dès le début rejoint la révolte et dirigent le Conseil national de transition (CNT) depuis Benghazi. Les chefs des unités de l’armée régulière basées en Cyrénaïque, dans l’Est rebelle, y compris ceux des bases aériennes et navales, ont d’autant plus facilement suivi le mouvement que leurs troupes sont toutes originaires de la région. Les services de police ont fini aussi par rallier le CNT.

Tête baissée

À l’ouest, la Tunisie est devenue un havre de liberté pour ceux qui peuvent atteindre le poste-frontière de Ras el-Jdir. Des dizaines de dignitaires du régime l’ont fait, sans cependant l’annoncer, de peur que les membres de leurs familles restés au pays ne fassent l’objet de représailles. Parmi eux, deux pièces maîtresses du système : Moussa Koussa et Ali Triki. Le premier a joué un rôle clé dans le dispositif sécuritaire – dont il a été l’un des principaux patrons –, puis, à partir de 2009, sur le plan diplomatique, en tant que ministre des Affaires étrangères. Le second a occupé le « front africain » et celui de l’ONU, à New York.

La plupart des autres caciques de la Jamahiriya se sont installés dans des palaces de l’île de Djerba (dans le sud-est de la Tunisie) et ont tenté d’obtenir des visas pour se rendre dans les grandes capitales occidentales, prétextant chercher une solution permettant à Kadhafi d’éviter l’effondrement. C’est le cas de Koussa, arrivé le 28 mars à Djerba, d’où il s’est envolé deux jours plus tard pour Londres.

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La défection de Koussa était attendue dans le sérail libyen depuis le jour où il est apparu devant les caméras de télévision pour lire la réaction officielle de Tripoli à la résolution du Conseil de sécurité du 17 mars. Tête baissée, il avait lu un communiqué faisant accroire que Kadhafi acceptait le cessez-le-feu demandé par l’ONU, avant que ce dernier ne dise et ne fasse tout le contraire dès le lendemain.

Double jeu

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De son côté, Ali Triki, nommé par Kadhafi représentant permanent à l’ONU après la défection d’Abderrahmane Chalgham, n’aura pas eu le temps de rejoindre New York. Arrivé à Paris le 9 mars en provenance du Caire, porteur d’un message du « Guide » aux autorités françaises, il a été retenu pendant deux heures dans les locaux de la police de l’air et des frontières de l’aéroport du Bourget, fouillé puis expulsé le lendemain en direction de l’Égypte. Son avion, avec lequel il comptait se rendre aux États-Unis, a même été privé de ravitaillement en carburant et confisqué !

De retour au Caire, Triki se rend en Tunisie le 22 mars, où il tente – en vain – d’être reçu par Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, en visite à Tunis. Il regagne alors l’Égypte, où il finit par annoncer, le 31 mars, sa propre défection. C’est au Caire que réside également depuis un mois Ahmed Kaddaf Eddam, cousin de Kadhafi, dont la position exacte par rapport au « Guide » demeure trouble, l’opposition libyenne le soupçonnant de jouer double jeu.

Pourrissement

Intervenues après celles des ministres de la Justice et de l’Intérieur, les défections de Koussa et de Triki commencent à avoir des effets sur l’entourage et les partisans de Kadhafi. Abdelati Labidi, le ministre des Affaires européennes, lui aussi arrivé à Djerba, aurait démissionné. Belgacem Zwai, président du Congrès général du peuple (CGP, Parlement), après d’ardentes interventions publiques en faveur de Kadhafi ces dernières semaines, a manifestement décidé de les mettre en sourdine. Chokri Ghanem, l’ancien Premier ministre, qui dirige aujourd’hui la puissante compagnie pétrolière Libyan National Oil Corporation, aurait également décidé de lâcher le chef de la Jamahiriya. Selon certaines informations, ces trois personnalités seraient arrivées en Tunisie et, le 1er avril, tout Tripoli bruissait d’une autre fuite non confirmée, celle d’Abou Zeid Dorda, le patron des renseignements extérieurs.

« Ces départs, réels ou supposés, sont autant de messages adressés à Kadhafi et au peuple libyen. Le pouvoir est en train de pourrir de l’intérieur et de s’effondrer. Il serait temps que Kadhafi et ses enfants se rendent avant qu’il ne soit trop tard », commente Abderrahmane Chalgham, l’ancien ministre des Affaires étrangères, qui, au siège de l’ONU à New York, continue à faire figure de représentant légitime de la nouvelle Libye.

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