RDC : sale temps pour les amis de Kabila

À l’approche de la présidentielle congolaise, la diaspora se mobilise contre Kabila. Son mode d’action ? Le boycott d’artistes payés par le pouvoir. Un mouvement qui s’amplifie.

Le concert de Papa Wemba à Paris en janvier a été annulé. © Sipa

Le concert de Papa Wemba à Paris en janvier a été annulé. © Sipa

Publié le 13 avril 2011 Lecture : 4 minutes.

La vidéo fait le tour du web. Le 12 mars, la star congolaise de la rumba, Fally Ipupa, interprétant ses tubes et se déhanchant sur scène dans un Zénith parisien… vide. Enfin, presque. Sur les 6 000 places que compte la prestigieuse enceinte, il y avait un peu moins de 200 spectateurs. Quelques irréductibles qui ont réussi à franchir le barrage des Bana Congo (« les enfants du Congo »), un mouvement d’opposition créé en 2002 par des ressortissants du pays le plus vaste d’Afrique centrale et qui organise le boycott de tous les concerts d’artistes musiciens congolais en Europe. La raison ? « Ils soutiennent le pouvoir en place. Ils sont donc complices des crimes commis par le pouvoir de Joseph Kabila », martèle Jean-René Lumumba Yoto, installé à Londres depuis 1992 et qui revendique la paternité de ces actions. À quelques mois de la présidentielle en RDC, prévue fin 2011, le mouvement entend mobiliser le maximum d’anti-Kabila. « Notre pays est entre les mains d’un pillard et nos artistes acceptent d’être payés pour faire des libangas en son honneur. Trop, c’est trop ! »

Combattants de la résistance

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Le libanga, l’art de la louange. Manié avec dextérité par les chanteurs congolais, il s’exécute contre une ­récompense, de préférence en pièces sonnantes et trébuchantes. Pour les hommes politiques congolais, c’est un excellent moyen de faire leur promotion. Et lorsque l’on sait l’influence qu’ont les artistes sur la jeunesse meurtrie et désœuvrée, on comprend pourquoi ils sont les cibles des Bana Congo. « Plus question de faire la fête, de danser et de chanter pendant que le peuple congolais meurt dans la misère », s’indigne Henry Muke, du mouvement de Bruxelles.

Des Bana Congo – qui se font aussi appeler les Combattants de la ­résistance –, on en retrouve à Londres, Paris, Bruxelles, Montréal. Jeunes, vieux, ils viennent de Lubumbashi, Kisangani ou Kinshasa. Étudiants, informaticiens ou cadres de banques, ils partagent tous une ambition : susciter un sursaut national qui remettra leur pays sur les rails… depuis l’extérieur. Aux revendications politiques s’en ajoutent bien d’autres, qui varient selon que l’on soit Bana Congo de Paris ou de Bruxelles. « Nous en avons marre des chansons qui n’évoquent que des choses en dessous de la ceinture et des danses obscènes exécutées par les danseuses », s’indigne Henry Muke. « Il faut que les pays occidentaux ouvrent les yeux sur ce qui se passe en RDC et refusent de collaborer avec ce gouvernement », renchérit Odon Mbo, du mouvement parisien.

La première action des « combattants » a eu lieu à Londres, en 2005. La victime : JB Mpiana, dont les rumbas font danser de Kinshasa à Dakar. Alors qu’il devait se produire dans un cabaret bien connu de la diaspora congolaise, une vingtaine de manifestants en bloque l’accès. « Il y a eu une bagarre, ce qui a rameuté la police, mais nous étions très satisfaits : le concert n’a pas eu lieu », jubile Jean-René Lumumba Yoto.

Depuis, le mouvement a fait des petits, la méthode s’exporte partout en Europe. En 2008, Koffi Olomidé n’a pu se produire à Londres ; en 2009, à Bruxelles, ce fut au tour de Tshala Muana, et de JB Mpiana en 2010. Werrason et Papa Wemba à Paris en janvier… Toutes les stars en font les frais : Tshala Muana ? « Ses danseuses sont obscènes ». Koffi Olomidé, Férré Gola ? « Ils ont chanté les louanges d’hommes politiques véreux. » Papa Wemba ? « Il a soutenu Joseph Kabila aux élections de 2006. » Si ce dernier ne s’en défend pas, il ne comprend pas la violence avec laquelle les artistes sont attaqués. « Ils nous accusent de toucher de l’argent du gouvernement, de fermer les yeux sur ce qui se passe au pays. Et pourtant personne ne peut prouver que nous ayons touché quoi que ce soit. Les artistes vivent de leurs prestations musicales. Il faut arrêter de voir la corruption partout. Nous ne faisons que notre travail », argumente Papa Wemba, tout en priant pour que bientôt tout rentre dans l’ordre.

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Si les Bana Congo sont persuadés de faire l’unanimité, un rapide sondage dans la communauté révèle que celle-ci est très divisée sur la question. « Autant on peut comprendre leurs revendications, autant les méthodes qu’ils utilisent sont ridicules », s’indigne Armand, un jeune étudiant congolais de Paris qui avait fait le déplacement pour le concert de Fally Ipupa. « Ils prennent la culture en otage », renchérit son ami. Du côté des promoteurs du spectacle, la liste des récriminations est longue comme le bras et cela ne sera pas sans conséquences pour les artistes. « Les combattants ont caillassé le car des musiciens, ils s’en sont pris physiquement aux gens qui sont venus, en crachant sur eux ou en les molestant », relate-t-on chez Meganet Productions, le promoteur du spectacle de Fally Ipupa. « Les tournées européennes et mêmes américaines de tous les artistes congolais sont compromises, parce que aucune assurance ne couvre ce genre de dégâts. » Sans vouloir communiquer le montant exact des pertes, chez Meganet Productions, on glisse qu’elles se chiffrent « à cinq zéros », rien que pour le Zénith du 12 mars.

Mais les Bana Congo n’en ont cure. Les vidéos de toutes les actions sont postées sur le Net et Odon Mbo se plaît à rêver à une révolution arabe… subsaharienne : « Maintenant, les gens du pays voient que la révolution est en marche. J’espère que cela va les pousser à battre le pavé très très vite. » Et si ce n’est pas le cas, les combattants pensent déjà à une autre action : suspendre tous leurs transferts d’argent vers le pays de Joseph Kabila.

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