Ces turcs qui claquent la porte

Ras-le-bol du sous-emploi et du racisme ambiant ! Ils sont chaque année plus nombreux à tourner le dos à leur pays de naissance pour partir faire carrière dans celui de leurs grands-parents, en plein boom économique.

Publié le 6 avril 2011 Lecture : 3 minutes.

Ils s’appellent Dilan, Mehmet, Selçuk. Il y a encore quelques mois, ils étaient élève infirmière, architecte, employé de bureau à Berlin ou Francfort. Désormais, c’est à Istanbul qu’ils ont préféré poursuivre leur vie et leur carrière. Comme eux, en 2009, ce sont près de 40 000 Turcs d’Allemagne qui ont quitté le pays où leurs parents et grands-parents avaient immigré dans les années 1960. Destination, la Turquie. Leur nombre serait aujourd’hui d’un tiers supérieur à celui des Turcs arrivant en Allemagne. Parmi eux, de nombreux retraités, bien sûr, mais aussi – plus étonnant – beaucoup de jeunes et brillants diplômés, nés en Allemagne et qui se considéraient jusque-là comme bien intégrés. Une étude portant sur 250 étudiants binationaux (dont les trois quarts nés sur le sol allemand) a révélé que plus d’un tiers d’entre eux envisageaient d’aller travailler en Turquie.

La première raison est évidemment d’ordre économique. La Turquie affiche depuis de nombreuses années une croissance (près de 7 % en 2010) à faire pâlir d’envie tous les États européens. Face à un marché de l’emploi bloqué, les jeunes Allemands d’origine turque n’hésitent plus à tenter leur chance sur la terre de leurs ancêtres, même s’ils en maîtrisent parfois mal la langue et les codes. « La preuve : la plupart de ces jeunes s’installent dans l’Ouest, à Istanbul ou à Izmir, deux villes dynamiques », précise Haci-Halil Uslucan, professeur au Centre d’études et de recherche sur la Turquie et l’intégration. Rares sont ceux en effet qui choisissent de retourner dans leur région ou ville d’origine. « Mais cela pourrait tout aussi bien être un autre pays, poursuit le chercheur. Ce qui est nouveau, ce sont ces mouvements transnationaux au gré des opportunités professionnelles et économiques. »

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Mentalité européenne

Ce retour au pays est également pour beaucoup le moyen de profiter de meilleures perspectives de carrière et d’acquérir un statut social et professionnel qu’ils n’auraient jamais eu en Allemagne. Et, de fait, leur double culture est souvent un atout pour les entreprises turques. La plupart de ces jeunes travailleurs maîtrisent deux, voire trois langues, ont été formés par le système éducatif allemand, réputé en Turquie, et « possèdent une mentalité très européenne », remarque Hüsnü Özkanli, président de l’Association des entrepreneurs germano-turcs.

La discrimination à laquelle ils sont en butte joue aussi un rôle déterminant dans leur décision. Certes, la situation s’est améliorée, et de nombreux enfants d’immigrés accèdent aujourd’hui plus facilement que leurs parents à des postes à responsabilités dans les entreprises. Le gouvernement allemand encourage par ailleurs leur présence dans le corps enseignant ou les forces de police. Ils sont aussi de plus en plus visibles en politique et dans le monde du sport, avec des figures de proue comme Cem Özdemir, coprésident du parti écologiste, ou Mesut Özil, le footballeur international. Néanmoins, dans leur quotidien, beaucoup se disent encore victimes du racisme, de brimades ou de discriminations lors de la recherche d’un emploi ou d’un logement. Certains jeunes rapportent également les préjugés de leurs professeurs, qui ont tendance à les orienter vers des filières toujours techniques et courtes.

De plus, le débat lancé l’année dernière sur l’intégration et la place des étrangers a fortement alourdi le climat. Les déclarations de la chancelière Angela Merkel sur l’« échec du modèle multiculturel allemand » ont heurté la communauté turque et musulmane, qui s’est sentie particulièrement visée, et même stigmatisée pour son supposé manque d’intégration et son insuffisante maîtrise de la langue allemande. Mais ce qui était vrai pour la première génération de Gastarbeiter, ces travailleurs « invités » n’ayant jamais fait l’objet d’aucune aide à l’intégration, ne l’est plus pour la jeune génération, qui se sent profondément allemande et donc d’autant plus blessée par ces allégations.

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Pénurie de main-d’œuvre

Un contexte qui pourrait alors encourager davantage de candidats au départ. « L’Allemagne devrait prendre en compte ce phénomène et réfléchir aux raisons qui poussent ces jeunes diplômés à partir. Nous espérons que ces discours négatifs sur les immigrés vont prendre fin, afin que nous puissions nous recentrer sur l’avenir, pacifique, de ce pays », souligne Bekir Yilmaz, président de l’Association de la communauté turque de Berlin.

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Véritable perte pour le pays, cet exode économique intervient au moment où l’Allemagne, dont le taux de natalité stagne à 1,4 enfant par femme, cherche des solutions pour endiguer le vieillissement de sa population. Le pays devra faire face, dans les prochaines décennies, à une importante pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Avant d’envisager toute politique d’immigration choisie, l’Allemagne ne devrait-elle pas tenter de retenir ces citoyens intégrés qu’elle a elle-même formés ?

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