Yémen : Ali Abdallah Saleh, requiem pour un kleptocrate

Pour asseoir son pouvoir au Yémen, Ali Abdallah Saleh a instauré un système de corruption généralisée et exacerbé les rivalités entre les différentes composantes du pays. Lesquelles ont fini par se fédérer contre lui…

Le président yéménite Ali Abdallah Saleh s’adresse à ses partisans, le 25 mars 2011 à Sanaa. © AFP

Le président yéménite Ali Abdallah Saleh s’adresse à ses partisans, le 25 mars 2011 à Sanaa. © AFP

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 9 avril 2011 Lecture : 3 minutes.

Au pouvoir pendant plus de trente-deux ans, le président Ali Abdallah Saleh, 69 ans, avait fait du « diviser pour régner » la pierre angulaire de sa stratégie. C’est pourtant la plus hétéroclite des coalitions qu’il aura réussi à fédérer contre lui. Le Nord et le Sud, les villes et les tribus, les religieux et les étudiants, les insurgés et les officiers de l’armée, l’opposition et des personnalités de son propre parti : tous se sont ligués pour obtenir son départ. Le 18 mars, le massacre de cinquante-deux manifestants par des snipers a précipité les défections et raffermi l’intransigeance des opposants, peu convaincus par sa promesse de partir d’ici à la fin de l’année.

Élu en 1999, réélu en 2006, Ali Abdallah Saleh s’était emparé du pouvoir au Yémen du Nord en 1978 après l’assassinat de ses deux prédécesseurs. Légaliste, le jeune officier rétablit la Constitution suspendue en 1974 par un gouvernement militaire. Réconciliateur, il préside à l’unification du Nord conservateur et du Sud marxiste en 1990. Démocrate, il organise l’ouverture au multipartisme après l’intégration des deux États. Libéral, il attire les investisseurs en suivant les recommandations du Fonds monétaire international (FMI). Diplomate, il aplanit les différends frontaliers entre le Yémen et ses voisins omanais, érythréen et saoudien.

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État complexe

Mais le Yémen moderne est un État complexe : le Nord et le Sud ont hérité de situations radicalement différentes, la population est l’une des plus pauvres du monde arabe, les inimitiés tribales s’ajoutent aux divisions politiques ou religieuses (entre chiites et sunnites), et de vastes zones échappent au contrôle de l’État. En 1994, les rivalités entre les dirigeants du Nord et du Sud dégénèrent en guerre civile. La défaite des sudistes entraîne l’élimination du Parti socialiste du champ politique, dominé par la coalition présidentielle du Congrès populaire général. Mais les réformes engagées ne suffisent pas à faire face aux défis économiques.

À partir de 2004, la rébellion chiite se propage dans la province nord de Saada. Dans les zones échappant au pouvoir central, les moudjahidine revenus d’Afghanistan et les extrémistes chassés d’Arabie saoudite trouvent un refuge idéal pour fonder, en 2009, Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) et mener des actions terroristes contre l’Occident. Entre 2007 et 2010, le Yémen monte ainsi de neuf places au classement mondial des États défaillants du magazine américain Foreign Policy pour s’établir à la quinzième position.

Pragmatisme cynique

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Devant la complexité de la situation, l’habileté du président s’est vite teintée d’un pragmatisme cynique. Pour affaiblir la contestation, il exacerbe les rivalités. Il se constitue une armée de fidèles en plaçant son fils aîné et ses neveux à la tête de la garde républicaine, de la garde présidentielle, des forces spéciales et des forces centrales de sécurité. La manne pétrolière et les aides consenties par les États-Unis et l’Arabie saoudite pour lutter contre Al-Qaïda lui permettent d’instaurer un système de corruption généralisée et de s’inféoder les notables du pays. Déjà dominé par une oligarchie militaire et tribale, le régime s’est mué en une kleptocratie dont profite tout d’abord le clan Saleh.

Corruption, violences, crise de l’emploi : dès 2007, le mécontentement populaire s’exprime ouvertement dans le Sud, alors que la rébellion chiite au nord vise le renversement du régime. En 2008, l’attentat d’Al-Qaïda contre l’ambassade américaine à Sanaa remet en question l’efficacité et la légitimité du président dans sa propre capitale. Portés par le vent des révoltes arabes, les événements de février et mars couvaient depuis longtemps. Comme Ben Ali et Moubarak avant lui, l’aveuglement du président Saleh, trop sûr de sa force et de la faiblesse de ses adversaires, lui aura peut-être été fatal. Mais nul ne sait comment évoluera ce pays soumis à d’innombrables forces centrifuges.

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