Les États arabes doivent assumer leurs responsabilités

Amr Moussa et Ban Ki-moon au siège de la Ligue arabe, le 21 mars, au Caire. © Nasser Nasser/AP Photo

Amr Moussa et Ban Ki-moon au siège de la Ligue arabe, le 21 mars, au Caire. © Nasser Nasser/AP Photo

Publié le 15 avril 2011 Lecture : 5 minutes.

L’absence des armées arabes dans l’opération en cours contre Mouammar Kadhafi est regrettable et pourrait avoir de graves conséquences à long terme. Elle permet au dictateur libyen assiégé de présenter cette offensive comme une « croisade occidentale » destinée à faire main basse sur le pétrole libyen – un argument qui pourrait rencontrer un écho auprès des tribus qui lui sont restées loyales. Le régime ayant savamment entretenu le souvenir des années noires de la colonisation italienne entre les deux guerres mondiales, les Libyens croiront plus facilement à une expédition coloniale occidentale qu’à la fiction d’un complot d’Al-Qaïda, comme Kadhafi l’a prétendu au départ.

Il faut dire que, dans le monde arabo-musulman, les Occidentaux ont un lourd passif. La destruction criminelle de l’Irak ; la guerre en Afghanistan qui se poursuit toujours ; des décennies de laxisme face à l’oppression des Palestiniens par Israël ; la négligence dans le dossier du Darfour ; ou la poursuite avide d’intérêts commerciaux, dont la vente d’armes est l’un des exemples les plus manifestes. Tout cela plaide contre l’Occident.

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Pourtant, il convient de regarder l’intervention occidentale d’un œil plus favorable, car elle semble avoir été motivée par une aversion sincère pour les atteintes aux droits de l’homme commises par Kadhafi quarante-deux années durant – sans oublier ses incursions meurtrières dans le terrorisme international, comme la destruction en plein vol d’un avion de ligne. Parmi ses innombrables crimes, le massacre de 1 200 détenus dans la tristement célèbre prison d’Abou Salim, en 1996, n’est qu’un exemple parmi d’autres.

Mais aujourd’hui, il faut absolument éviter que l’intervention en Libye n’envenime davantage les relations entre l’Occident et le monde arabo-musulman. Pour ce faire, les pays arabes doivent se convaincre qu’il leur incombe de prendre une plus grande part dans la création des conditions d’une transition pacifique à Tripoli.

Au début de la crise, la Ligue des États arabes s’était exprimée en faveur d’une zone d’exclusion aérienne, mais cette prise de position n’a été suivie d’aucune initiative, ni politique ni militaire. La Ligue a légitimé l’assaut occidental, comme l’avait fait encore plus vigoureusement la résolution du Conseil de sécurité, mais la contribution arabe a été très faible. Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue, a, depuis, exprimé des réserves sur les frappes aériennes occidentales, n’étant apparemment pas au courant que l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne requiert la destruction des forces de défense antiaériennes libyennes.

Pour limiter les pertes civiles et les destructions matérielles, les États arabes doivent à présent œuvrer pour la fin des combats. Ils doivent agir pour sauver la Libye de ce qui pourrait devenir une guerre civile prolongée.

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Le Yémen pourrait aussi avoir besoin d’une médiation arabe pour superviser une passation pacifique du pouvoir entre le président Ali Abdallah Saleh, à la tête du pays depuis trente-trois ans, et un nouveau gouvernement en phase avec les exigences des manifestants. Entre 1962 et 1970, le Yémen a été ravagé par une guerre civile qui a pris fin à la faveur d’une réconciliation difficile et fragile, sous les auspices de puissances étrangères. Le Liban a connu, lui aussi, une guerre civile dévastatrice. La méfiance et les inimitiés qui en ont résulté font toujours planer le risque d’un basculement dans la violence. Ses voisins seraient bien avisés de veiller à ne pas aggraver son instabilité.

Aucun État arabe n’est autant concerné que l’Égypte par l’issue de la bataille libyenne. Mais, visiblement, les généraux égyptiens sont trop absorbés par la gestion de la transition dans leur propre pays pour songer à leurs futures relations avec leurs voisins. Le Caire aurait pourtant gagné la gratitude d’une grande majorité de Libyens en fournissant une aide précoce et décisive aux insurgés, au lieu de leur donner simplement quelques armes, comme il l’aurait fait. Mais il est encore temps pour l’Égypte d’agir politiquement et militairement afin de préparer une alliance étroite avec son voisin. Et pourquoi pas songer, à plus long terme, à une sorte d’union fédérale, comme Kadhafi lui-même l’avait envisagé lorsqu’il a pris le pouvoir.

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La Libye pourrait tirer un grand profit des importantes ressources humaines égyptiennes, de la richesse de ses compétences, de ses institutions gouvernementales expérimentées et de ses établissements culturels et éducatifs. L’Égypte, en retour, bénéficierait des ressources pétrolières de la Libye et d’un vaste espace peu peuplé, notamment ses 2 000 km de côte méditerranéenne. Ensemble, elles pourraient fournir au monde arabe un formidable point d’ancrage et jouer le rôle de locomotive.

Il ne fait guère de doute que le règne de Kadhafi doive prendre fin rapidement. Mais il est important que la transition se déroule sans violence inutile et à l’unisson de l’extraordinaire printemps des peuples arabes auquel le monde assiste, de l’océan Atlantique au golfe Arabo-Persique. Aucun régime arabe n’est immunisé contre la vague de protestation et l’exigence de liberté qui balaient toute la région. Chercher à réprimer ce mouvement démocratique par la force serait aussi inefficace que d’essayer de contenir un tsunami. Les régimes arabes qui n’ont pas encore été confrontés à ce défi devraient s’empresser de mettre fin à la brutalité policière, de lutter contre la corruption et de permettre à leurs peuples de choisir leurs représentants dans des élections réellement libres. L’usage de la force, et notamment le meurtre de manifestants, ne fait qu’attiser les flammes, comme la Syrie est en train d’en faire l’expérience.

Outre des médiations extérieures en Libye et au Yémen, il est urgent que l’Arabie saoudite et l’Iran parviennent à trouver un terrain d’entente. En envoyant des soldats à Bahreïn, Riyad a affirmé son autorité dans le golfe Arabo-Persique et sa volonté de défendre ses intérêts nationaux. Cette intervention a momentanément apaisé la situation, mais la famille régnante de Bahreïn devrait en profiter pour introduire des réformes réelles et profondes.

Il serait dramatique que la crise bahreïnie soit perçue comme une guerre irano-saoudienne par procuration. Rien n’apaiserait en effet plus efficacement les tensions dans le Golfe qu’une tentative sincère de rapprochement entre ces deux puissances, de même qu’entre sunnites et chiites – une tâche à laquelle les leaders religieux de part et d’autre devraient s’employer dans un indispensable esprit de réconciliation. Une action éclairée des dirigeants arabes peut encore épargner à leurs pays davantage de troubles et la mort d’autres innocents. Puisque ce n’est pas à des puissances étrangères que le sort de la région doit être confié.

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