Maroc : Abdeltif Menouni, le fqih de la Constitution
Mise en place par Mohammed VI, l’instance chargée de réviser la Loi fondamentale du Maroc est présidée par Abdeltif Menouni, un démocrate authentique déterminé à agir en accord avec ses principes. Portrait.
Il est discret, très affable, mais il avoue une certaine fatigue. « Les journées sont longues », confie-t-il avec un demi-sourire. Depuis que le roi Mohammed VI lui a confié la présidence de la Commission consultative de révision de la Constitution du Maroc (CCRC), Abdeltif Menouni, 67 ans, père de trois enfants, juriste universitaire reconnu au Maroc et dans la sphère arabo-musulmane, est entré dans le monde de l’urgence. Objectif : remettre au souverain un nouveau projet de texte fondamental d’ici à la fin juin. Dans un pays où « un homme pressé est un homme mort », le professeur Menouni devrait néanmoins survivre en raison des enjeux de cette réforme. Le printemps arabe a essaimé son pollen jusque dans le royaume chérifien, et Mohammed VI a fait de ce chantier la pierre angulaire de l’aggiornamento politique nécessaire pour répondre aux immenses attentes de son peuple. Dans le cadre très makhzénien et verdoyant de l’Académie du royaume, le fqih (savant, juriste) Menouni n’a pas encore décliné ses qualités unanimement admises de constitutionnaliste.
Pour l’heure, et selon le calendrier qu’il s’est fixé, la CCRC est en phase d’intenses consultations. Avec les partis politiques, dont la sclérose et l’attentisme sont dénoncés avec férocité tant par les militants du mouvement dit du « 20 février » (en référence aux manifestations qui ont précédé l’historique discours royal du 9 mars) que par la presse indépendante. Avec les syndicats, qu’il connaît bien puisqu’il a été l’un des fondateurs de la Confédération démocratique du travail (CDT). Avec les organisations de défense des droits de l’homme, devenues un des acteurs majeurs de la vie politique nationale. Et enfin, mais surtout, avec le réseau associatif, en pointe dans les revendications de « dignité », « d’égalité » et de « justice » exprimées par la rue.
"Bourreau de travail"
« Ma mission s’inscrit dans le sens d’un approfondissement de la démocratisation des institutions du royaume », explique le professeur à J.A. La voix est posée et, derrière de fines lunettes dorées, le regard déterminé. « J’ai suffisamment de courage pour rester fidèle à mes engagements », assure-t-il. Car la nomination du professeur Menouni à la tête de la CCRC est venue confirmer la sincérité du désir royal de réforme profonde. Présenté comme un « homme de gauche », jamais compromis dans les dérives autoritaires du Makhzen, il rappelle que, en 1962, âgé alors de 18 ans, il a fondé l’Association de la jeunesse progressiste de Meknès, la ville impériale d’où est originaire sa grande et illustre famille d’intellectuels. Depuis Sidi Ali Menoune, né au XIVe siècle et surnommé « le Sage de Meknès », les Menouni forment une prestigieuse lignée de lettrés qui ont fréquenté les universités, dont la prestigieuse Qarawiyine de Fès, toujours considérée comme un phare de la culture arabo-musulmane. « Ma seconde patrie, c’est l’université », confirme d’ailleurs celui qui a donné des cours de droit au milieu des années 1980 au futur Mohammed VI à la faculté de Rabat.
Reconnu professionnellement par ses pairs et les plus hautes sphères du pouvoir, ancien membre du très feutré Conseil constitutionnel, Abdeltif Menouni ne s’est pourtant donc jamais interdit de militer et d’agir en accord avec ses convictions de démocrate. Ancien président de l’Union nationale des étudiants marocains (Unem), militant de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), son dernier engagement majeur, en marge de sa chaire à l’université de droit de Rabat, a été sa participation à l’Instance Équité et Réconciliation (IER), mise en place par le roi et pilotée par feu Driss Benzekri, ancien opposant à Hassan II, pour panser les plaies des « années de plomb ».
Présenté par ses proches comme « un bourreau de travail », le professeur Menouni devra donc, après avoir pris le pouls démocratique du royaume, en étroite collaboration avec le conseiller du roi Mohamed Moâtassim, ciseler un travail de maalem pour réinventer l’équilibre des pouvoirs. Pour cet expert des libertés publiques, par ailleurs fondateur de l’Association des juristes maghrébins, l’émergence d’un réel pouvoir judiciaire indépendant et crédible fait figure de priorité. Le constat est posé depuis des décennies, la justice marocaine est en effet gravement malade, car elle souffre des deux maux qui caractérisent cette institution en Afrique : la soumission aux oukases de l’exécutif et la corruption.
Une feuille de route claire
Parmi les défis qui attendent également l’ancien professeur de Mohammed VI, l’éventuelle modification de l’article 19 de l’actuelle Constitution (adoptée par référendum en 1996), qui confirme la commanderie des croyants (amir al-mouminine) du souverain. Un amendement à cette disposition, introduite en 1962 par Hassan II, est réclamé par une partie de l’opposition, dont les islamistes d’Al Adl wal Ihsane. Mais si l’on s’en tient déjà aux principaux axes posés par le discours royal du 9 mars (reconnaissance de l’amazighité comme composante de la nation, désignation automatique du Premier ministre en fonction du résultat des législatives, renforcement de la séparation des pouvoirs, consécration de la régionalisation mise en musique par l’ancien ministre de la Justice, Omar Azziman…), la feuille de route du fqih Menouni, auteur de nombreux traités, dont celui portant sur « l’alternance et la continuité dans la politique de l’État » (1986, Revue française de sciences politiques), est déjà bien épaisse.
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