Dans les geôles du ministère de l’Intérieur tunisien

Le lieutenant-colonel Mohamed Ahmed. © Hichem

Le lieutenant-colonel Mohamed Ahmed. © Hichem

Publié le 6 avril 2011 Lecture : 3 minutes.

Le 22 mai 1991, un officier de la sécurité militaire m’a conduit au bureau de Mohamed Ali Ganzoui, directeur général de la sûreté de l’État, au ministère de l’Intérieur. Celui-ci m’a posé les questions suivantes : êtes-vous membre du mouvement intégriste Ennahdha ? Quelles sont les réunions d’Ennahdha auxquelles vous avez assisté au cours des six derniers mois ? Quand et où ? Sans hésitation aucune, j’ai répondu que je n’avais rien à voir avec ce mouvement et que je n’avais jamais assisté à une seule de ses réunions. Mais j’ai tout de même été placé­ en isolement, accusé, sans autre forme de procès, de participation à un « complot ». La perquisition à mon domicile a permis de ­saisir, outre mon fusil­ de chasse pour lequel j’avais un permis de port d’arme, quelques livres et des magazines comme Jeune ­Afrique. Ces objets constituaient des éléments de preuve de ma culpabilité !

Nous étions en tout quelque deux cents militaires incarcérés. Aucun avocat ni médecin ne nous a rendu visite. Nous étions privés de tout contact avec l’extérieur. Nos familles ne savaient pas ce que nous étions devenus. C’était un crime méthodique, exécuté à huis clos. Pendant les trois premières semaines, vers 22 heures, j’entendais souvent mes voisins de cellule geindre comme des bêtes blessées. Les techniques de torture utilisées à mon encontre étaient l’isolement, l’empêchement de dormir, la dégradation de la personnalité, l’insulte, les gifles, les coups de poing sur le visage, la position du poulet rôti, la suspension par les pieds avec les mains attachées dans le dos, la suffocation dans un bain d’eau mélangée à de l’urine et à des détritus. Mais ce qui m’a le plus marqué, c’était que des tortionnaires me retirent mes insignes de grade, ma médaille militaire, mon uniforme pour m’obliger à porter un survêtement. 

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À la fin de chaque séance de torture, je devais faire des confessions écrites sous la dictée des enquêteurs, qui m’ont ainsi obligé à évoquer la préparation de ce coup d’État lors de réunions dans un lieu nommé Barraket Essahel, où je ne m’étais jamais rendu. Un peu plus de trois semaines après mon arrestation, j’ai été interrogé par le ministre de l’Intérieur en personne, Abdallah Kallel, entouré de Ganzoui et d’Ezzeddine Jenayah, de la sûreté de l’État. J’étais une véritable loque : les pieds enflés, l’œil au beurre noir, les lèvres éclatées. Je ne pouvais même pas tenir debout. Kallel m’a demandé de lui confirmer les aveux. Je lui ai répondu qu’ils m’avaient été extorqués sous la torture. J’ai ajouté que tous les officiers arrêtés constituaient la crème de l’armée et qu’ils étaient innocents. De retour dans ma cellule, j’ai de nouveau été torturé pour m’être exprimé ainsi devant le ministre. Au début de la quatrième semaine, dix d’entre nous ont été transférés du ministère de l’Intérieur à la prison civile du Mornag pour effacer un tant soit peu les traces de torture.

À la fin de la quatrième ­semaine, nous avons été ramenés au ministère de l’Intérieur, où nous avons eu un face-à-face avec Kallel, Ganzoui, le colonel-­major Farza, directeur général de la sécurité militaire, le colonel-­major Seriati, directeur général de la sûreté nationale, et leurs collaborateurs. Kallel nous a dit qu’il était désolé pour ce qui s’était passé et que le président avait décidé de nous élargir. Il a dit que nous avions été arrêtés parce que des officiers subalternes interrogés avaient cité nos noms. « Mettez-vous à notre place ! » a-t-il dit, feignant d’ignorer que ses agents avaient obtenu nos aveux en usant de la torture.

Aujourd’hui, en tant que militaire à la retraite, je suis très fier de notre armée et, comme tous mes camarades, j’ai proposé de rejoindre ses rangs afin de contribuer, par mon expérience et mes compétences, à la protection de notre peuple et des acquis de sa révolution. Mes camarades et moi avons demandé au président par intérim, via le ministère de la Défense, l’ouverture d’une enquête sur ce qui nous est arrivé, mais aussi des poursuites contre ceux qui ont commis des crimes de tortures, ainsi que le recouvrement de notre dignité, de tous nos droits et la réparation de tous les préjudices subis. 

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* Ancien adjoint du chef d’état-major de l’armée de terre.

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