Enfants de troupe
Le Nigérian Chris Abani retrace, avec une certaine tendresse et intimité, le parcours bouleversant d’un gosse enrôlé dans une guerre fratricide.
Un long sanglot silencieux, comme un dernier souffle mélancolique, Comptine pour l’enfant-soldat est le récit de My Luck, 15 ans, « privé d’espoir et de presque toute humanité ». Ce jeune Nigérian a été enrôlé de force dans une guerre fratricide. Ses cordes vocales lui ont été tranchées, sans anesthésie. Une manière de le réduire au silence pour que son cri, s’il venait à sauter sur une mine, ne déconcentre pas les démineurs.
Égaré, il déambule à travers la forêt à la recherche de son peloton. Une errance qui le conduit à retracer trois années de combats et à décrire un quotidien coincé entre rêves et cauchemars (parfois bien réels), souvenirs et visions. My Luck raconte l’assassinat de son père, un Igbo « imam et circonciseur » en terre chrétienne, et celui de sa mère. Sa fuite quand les pogroms anti-Igbos se sont multipliés. Les meurtres et les combats, les viols auxquels le major Essien le force à participer. La joie si singulière, proche de l’orgasme, lorsque l’on apprend à aimer tuer. La honte, parfois. La culpabilité, souvent. Les yeux qui implorent et ceux qui s’évadent dans la folie. « J’avais 13 ans, j’étais armé et perdu dans une guerre, et j’avais le goût du viol », résume My Luck. Mais sa rencontre avec la douce Ijeoma, enrôlée dans son bataillon, le sauvera du délire.
Pour ne pas oublier ses proches morts et ceux qu’il a été contraint d’assassiner, My Luck s’est tailladé vingt et une petites croix sur l’avant-bras gauche, et six sur le droit pour les personnes qu’il a eu « plaisir à tuer ». « Mon cimetière en braille, explique-t-il, est une carte de ma conscience, quelque chose qui m’éloigne des sombres limites de la folie de la guerre. Je n’ai jamais été un petit garçon. Cela m’a été volé, et je ne serai jamais un homme. Pas de cette façon-là. Je suis une sorte de chimère qui ne connaît que la terrible intimité du meurtre », constate, lucide, l’enfant-soldat.
Écrit dans une langue riche, colorée d’une tendre poésie de laquelle se dégage une douceur qui contraste avec le récit macabre de My Luck, Comptine pour l’enfant-soldat est le troisième roman de l’écrivain nigérian Chris Abani (prix Pen-Hemingway pour Graceland) à être traduit en français.
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Comptine pour l’enfant-soldat, de Chris Abani, albin Michel, 208 pages, 18 euros.
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