France : insondable Marine Le Pen

Comment interpréter les sondages qui ont récemment placé l’héritière du clan Le Pen en tête des candidats potentiels au premier tour de la présidentielle française de 2012 ? Réponses de spécialistes.

La Une du Parisien le 6 mars. © DR

La Une du Parisien le 6 mars. © DR

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 22 mars 2011 Lecture : 4 minutes.

En propulsant Marine Le Pen en tête des intentions de vote au premier tour de l’élection présidentielle de 2012, devant Nicolas Sarkozy et Martine Aubry, Jean-Daniel Lévy, responsable du département opinion du sondeur Harris Interactive, a fait un tabac, le 6 mars. Pensez ! La toute nouvelle présidente du Front national (FN) mettant hors jeu soit le président sortant, soit la patronne du Parti socialiste ? Un joli coup médiatique.

Il n’en a pas fallu davantage pour relancer le vieux débat sur la véracité et la légitimité des sondages. À la gauche de la gauche, Jean-Luc Mélenchon dénonce une « guignolisation de la politique », tandis qu’à l’Élysée on rappelle que l’institut Harris s’était trompé en prédisant une victoire du oui au référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen.

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L’enjeu est de taille, alors qu’à l’approche de la présidentielle les sondages ont tendance à se multiplier : 157 en 1995, 193 en 2002 et 293 en 2007. Après la publication par Le Parisien-Aujourd’hui en France de celui de Harris, tout le monde s’est penché sur les méthodes de sa fabrication. Réalisée en ligne entre le 28 février et le 3 mars auprès d’un échantillon de 1 618 personnes, l’enquête prétendait mesurer les intentions de vote en faveur de onze candidats supposés. Trois se détachaient nettement du lot : Marine Le Pen avec 23 % des suffrages, suivie de Nicolas Sarkozy et de Martine Aubry, ex aequo avec 21 %. Certains s’étant étonnés que l’un des favoris, le directeur général du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, n’y figure pas, un nouveau sondage Harris a été réalisé, donnant grosso modo le même résultat.

Bricolage et pifomètre

Mais plusieurs informations n’ont pas tardé à jeter le doute. Il est apparu que les résultats « bruts » obtenus par Harris accordaient presque exactement le même score aux trois champions : entre 20 % et 21 %. Pour tenir compte du fait que les sondages minimisent toujours les résultats du FN en raison de la gêne des personnes interrogées à avouer leur préférence pour un parti pas vraiment démocratique, les sondeurs « corrigent » les chiffres en leur affectant un coefficient de redressement, dont la Commission des sondages connaît le détail. D’autre part, Harris a reconnu qu’il motivait son panel de sondés en tirant au sort, tous les trois mois, un « gagnant » : 7 000 dollars en jeu !

Bricolage et pifométrie ? Manipulation de l’opinion pour faire peur ou mobiliser ? Pour en finir avec ces soupçons, le Sénat a, le 24 février, adopté à l’unanimité une proposition présentée par les sénateurs Hugues Portelli (UMP) et Jean-Pierre Sueur (PS) rénovant la loi de 1977. « Avant de déposer notre proposition, explique ce dernier, nous avons reçu tous les protagonistes, la presse, les sondeurs et la Commission des sondages. Tous sont d’accord avec les deux premières mesures : publication du nom de l’acheteur du sondage et des questions posées aux sondés. En revanche, les professionnels renâclent à publier les marges d’erreur de leurs calculs. En l’occurrence, la marge est comprise entre + 2 % et – 2 %. Soit moins que l’écart entre les candidats. En aucun cas on ne peut donc conclure que Le Pen est en tête. C’est une nécessité pédagogique absolue. »

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18 % pour Le Pen ?

Autre mesure conflictuelle : le dépôt des critères de « redressement » et des chiffres « bruts », qui seront consultables par tous. « Les sondeurs y rechignent, regrette Jean-Pierre Sueur. Ils nous rétorquent que c’est leur secret de fabrication. Ou alors, qu’ils ne peuvent communiquer leurs chiffres à n’importe qui. Nous estimons qu’il ne faut pas craindre la transparence et ouvrir un vrai débat. » La loi a suscité l’opposition du gouvernement, peu soucieux de se mettre à dos les instituts de sondage à un an d’un scrutin majeur. Mais qu’en pensent vraiment ces derniers ?

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« Les chiffres utilisés en sciences sociales ne sont ni des litres ni des kilos, estime Roland Cayrol, directeur de recherche associé à la Fondation nationale des sciences politiques et cofondateur de l’institut CSA. Il est faux de dire que l’on sait calculer la marge d’erreur dans le système des quotas, car elle change en fonction de chaque chiffre. Elle est beaucoup plus grande sur 90 que sur 2. » S’agissant de la publication des règles de redressement et des résultats bruts, Cayrol n’est pas moins catégorique : « Si nous publiions des chiffres bruts, ils seraient faux, parce que les abstentionnistes ont honte de leur incivisme et préfèrent dire qu’ils voteront, par exemple, pour les écologistes, ce qui fait surestimer le vote Vert et sous-estimer l’abstention. »

Pour approcher la réalité, les sondeurs utilisent un coefficient de correction qui intègre l’analyse des votes lors des élections précédentes. « Vous imaginez les cris d’orfraies que pousseraient les candidats redressés, si nous publiions les chiffres bruts ? poursuit Cayrol. Arrêtons d’accuser le thermomètre quand il y a une poussée de fièvre ! L’important dans le sondage Harris, c’est que le FN se situe entre 20 % et 24 %. Bien malin qui pourrait dire qui arrivera en tête en 2012. Mon hypothèse est que le score de Marine Le Pen est gonflé par un cinquième des électeurs qui ont voté Sarkozy au premier tour de 2007, mais qui souhaitent lui donner une leçon. Elle devrait redescendre à 17 %-18 %. »

Et Roland Cayrol de plaider pour une « réflexion adulte », qui analyse ce que veulent dire les sondages. Il rappelle que ces derniers ne cessent d’évoluer. « Une simple photo » à un instant donné et qui ne présage en rien de l’avenir. L’Assemblée nationale sera-t-elle appelée à en débattre, malgré la mauvaise grâce du gouvernement ?

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