Libye : comment Kadhafi a perdu la bataille diplomatique

Il comptait sur la désunion des Arabes, sur la lâcheté des Occidentaux et sur le soutien de la Chine. C’est raté. Alors qu’il s’apprêtait à lancer un assaut décisif sur Benghazi, le « Guide » libyen a subi un terrible revers : le vote, au Conseil de sécurité de l’ONU, d’une résolution autorisant le recours à la force… contre lui.

Mouammar Kaddafi a surestimé l’appui de la Chine et des pays arabes. © AFP

Mouammar Kaddafi a surestimé l’appui de la Chine et des pays arabes. © AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 24 mars 2011 Lecture : 5 minutes.

Mouammar Kadhafi se croyait invincible. Il se voyait déjà rentrant triomphant, à la tête de ses troupes, dans Benghazi la soumise. Mais le 17 mars au soir, l’ONU en a décidé autrement. Pour protéger les populations civiles de son glaive vengeur, les cinq « grands » ont autorisé des frappes aériennes contre son armée. La semaine dernière, le « Guide » promettait la foudre. Aujourd’hui, elle risque de lui tomber sur la tête. Comment a-t-il perdu la partie ? Récit des six jours où la peur a changé de camp.

Tout commence le 12 mars, au Caire. La Ligue arabe se réunit dans son immeuble de la place… Al-Tahrir – mauvais augure pour le « Guide » ! Celui-ci sait qu’il joue gros. Dans les quarante-huit heures précédentes, il a appelé plusieurs chefs d’État arabes : l’Algérien Abdelaziz Bouteflika, le Mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz, le Soudanais Omar el-Béchir, le Syrien Bachar al-Assad… Il espère qu’ils feront contrepoids aux nouveaux régimes de Tunisie et d’Égypte, mais aussi à son ennemi juré, le roi Abdallah d’Arabie saoudite, et à l’émir du Qatar. Depuis que la chaîne qatarie Al-Jazira a choisi le camp des insurgés, les deux anciens alliés sont à couteaux tirés.

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C’est sans compter avec Amr Moussa. Le diplomate égyptien n’est « que » secrétaire général de la Ligue, mais il est aussi l’un des favoris de la future présidentielle dans son pays. Donc, il pèse. Or, il n’aime pas le numéro un libyen, et s’en cache à peine. À un ami, avant la réunion, il confie : « Kadhafi, c’est un boucher. Avec Saddam, on avait déjà eu un boucher. Mais au moins, il n’était pas ridicule. Celui-là détruit notre réputation. »

Les Français dégainent

Après un premier tour de table, les délégués algérien et syrien comprennent qu’ils sont isolés. Ils n’insistent pas. Le soir du 12, la Ligue arabe appelle le Conseil de sécurité de l’ONU à mettre en place une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye.

Au début, Mouammar Kadhafi s’en moque. « La Ligue arabe, c’est un club de gens qui s’entendent pour ne pas s’entendre », aime-t-il à dire. Le 14 mars, la réunion du G8 à Paris l’entretient dans ses illusions. Les grands ne sont d’accord sur rien. Même les Occidentaux sont divisés. D’un côté, le Français Nicolas Sarkozy et le Britannique David Cameron poussent en faveur de frappes aériennes. De l’autre, l’Américain Barack Obama et l’Allemande Angela Merkel sont très réticents. Pendant ce temps, les unités blindées de Khamis, l’un des fils Kadhafi, reprennent une à une les villes passées à la rébellion, le long de l’autoroute côtière qui mène à Benghazi. Le « Guide » jubile et pense déjà à l’après-crise. Dans ses interviews, il distribue bons et mauvais points aux futurs partenaires de son régime…

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Pourtant, c’est ce même 14 mars que le vent commence à tourner. Depuis plusieurs semaines, l’opinion américaine ne comprend pas les hésitations d’Obama. Le 23 février, Moustapha Abdeljalil, l’ancien ministre libyen de la Justice – aujourd’hui numéro un du Conseil national de transition (CNT) – a affirmé qu’il avait les preuves de l’implication personnelle de Kadhafi dans l’attentat de Lockerbie, en 1988 (270 morts, dont une majorité d’Américains). Au Congrès, à Washington, deux sénateurs influents, le républicain John McCain et l’indépendant Joe Lieberman, déposent une résolution demandant à la Maison Blanche de reconnaître le CNT. Le sénateur démocrate John Kerry appuie leur démarche en sous-main. Le 15, Barack Obama se décide. Va pour un troisième front – en plus de ceux d’Irak et d’Afghanistan. Il donne son feu vert à une résolution musclée contre le régime Kadhafi. « Son projet de résolution était même trop va-t-en guerre, confie un diplomate français. Il pouvait effrayer les Chinois et les Russes. »

Le 16, les Français dégainent. Le matin, réunion à l’Élysée, en marge du Conseil des ministres. Nicolas Sarkozy consulte son chef de gouvernement, François Fillon, et deux de ses ministres, Alain Juppé (Affaires étrangères) et Gérard Longuet (Défense). L’après-midi, alors que les forces de Kadhafi ne sont plus qu’à 200 km de Benghazi, le président français adresse une lettre aux chefs d’État des quatorze autres pays membres du Conseil de sécurité. « Ensemble, sauvons le peuple libyen martyrisé ! Le temps se compte maintenant en jours, voire en heures », écrit-il. Au même moment, la France présente au Conseil de sécurité un projet de résolution parrainé par la Grande-Bretagne et le Liban. « Pour ne pas braquer Moscou et Pékin, on est allé moins loin que les Américains, précise une bonne source à Paris. On a bâti le projet autour d’une zone d’exclusion aérienne, et on a ajouté l’euphémisme “toutes les mesures nécessaires” pour permettre des frappes aériennes sans effaroucher nos amis russes et chinois. » La diplomatie, ou l’art de la litote…

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Le 17, tous les regards sont tournés vers Moscou et Pékin. À Tripoli, Mouammar Kadhafi s’accroche encore à l’espoir que ces deux capitales resteront inflexibles sur le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État. Mais Dmitri Medvedev, le président russe, a déjà interdit toute vente d’armes à la Libye. Ce n’est pas bon signe. Et le « Guide » ne sait pas que l’une de ses fanfaronnades a irrité Hu Jintao, le président chinois. Le 22 février, lors de son premier discours télévisé après le soulèvement de Benghazi, il avait promis « des boucheries » et menacé « les rebelles » d’une riposte « à la Tiananmen » – en référence au massacre de plusieurs centaines d’étudiants par l’armée chinoise, en 1989. Réaction d’un diplomate chinois de très haut rang, lors d’un échange off avec quelques journalistes, à Pékin : « Cela prouve à quel point ce type n’est pas sérieux ».

Un peu « gueule de bois »

Le 17 au soir, à New York, le texte proposé par la France est adopté. Votent pour : les États-Unis et les deux parrains du projet, la Grande-Bretagne et le Liban. Mais aussi l’Afrique du Sud, la Bosnie-Herzégovine, la Colombie, le Gabon, le Nigeria et le Portugal. S’abstiennent : l’Allemagne, le Brésil, la Chine, l’Inde et la Russie. Pas une seule voix contre. Benghazi explose de joie et fait la fête toute la nuit aux cris de « Kadhafi ne peut plus nous échapper » et « 1,2,3, vive Sarkozy ! ». Le lendemain matin, le ministère chinois des Affaires étrangères, un peu « gueule de bois », émet de « sérieuses réserves » sur cette résolution, mais explique qu’il n’a pas voté contre à cause « de la position des pays arabes et de l’Union africaine, et des circonstances particulières en Libye ».

À Benghazi, la rue peut remercier Amr Moussa. Surtout, elle peut se réjouir de l’exception libyenne. Par ses outrances verbales, sa violence et ses incohérences, le « Guide » a fini par désespérer ses derniers amis. Même les Chinois…

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