L’Université du Cap prospecte l’élite africaine

Premier établissement du continent dans les palmarès mondiaux, l’UCT accueille les meilleurs élèves des pays anglophones. À l’heure de la rentrée, elle veut attirer les têtes bien pleines de toute l’Afrique.

La sélection des étudiants combine examen d’entrée et quotas communautaires. © Ian Barbour/FlickR

La sélection des étudiants combine examen d’entrée et quotas communautaires. © Ian Barbour/FlickR

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 24 mars 2011 Lecture : 5 minutes.

Installé sur les pentes du pic du Diable, qui surplombe la ville, le campus de l’Université du Cap (University of Cape Town, UCT) bout d’activité sous le soleil de la fin de l’été austral. Pour leur recrutement de début d’année, les associations étudiantes ont installé leurs stands sur le gazon impeccable qui s’étend entre les bâtiments victoriens. Il y a là de jeunes Sud-Africains noirs, blancs, métis et indiens, mais aussi des étrangers, notamment d’autres pays africains. L’heure est à la décontraction, mais, avec la rentrée qui approche, quelque 21 000 étudiants « undergraduates » (jusqu’à la licence) et 5 000 « graduates » (en master et au-dessus) se retrouveront bientôt dans une ambiance studieuse sur les bancs des six facultés.

En tête des universités africaines dans quasiment tous les classements internationaux (lire encadré), l’UCT a fait de l’internationalisation l’une de ses priorités. Dans ce contexte, les autres pays africains, longtemps négligés, sont devenus l’un de ses champs majeurs de prospection. « L’université s’est rendu compte qu’elle était trop tournée vers l’Europe ou les États-Unis et veut désormais s’ancrer davantage sur le continent », justifie Francis Peterson, le directeur de la faculté d’ingénierie de l’UCT. Ce n’est pas la seule explication. L’internationalisation est un critère clé dans les classements universitaires. Or la chasse aux meilleurs étudiants et aux professeurs les plus compétents met désormais en concurrence les plus grands établissements du monde. Prospecter les pays du continent est donc une solution plus facile, avantageuse et « naturelle ».

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Une tâche facilitée par la réputation de l’UCT, qui porte allègrement ses 182 ans. Devenue, depuis l’essor de l’industrie minière, le centre de formation de l’élite du pays, elle continue de rayonner. Plus libérale que ses consœurs, enseignant en afrikaans, elle fut l’une des premières universités du pays à admettre des femmes (en 1886), puis des Noirs (en 1920). Elle a été l’un des hauts lieux de contestation de l’apartheid, et peut s’enorgueillir d’une longue liste d’anciens élèves célèbres : les écrivains André Brink et J. M. Coetzee, le cosmologue George Ellis, le découvreur du vaccin contre la fièvre jaune Max Theiler, le Prix Nobel de la paix Ralph Bunche, ou encore Gail Kelly, très influente patronne de la banque Westpac…

Aujourd’hui, pour les étudiants francophones, sa réputation ne fait pas de doute. « Tous les Sud-Africains le disent : l’UCT est la meilleure université du pays », affirme Makengo Ndunge, un Congolais qui a préféré y suivre son master en sciences de l’éducation, plutôt que de continuer à la Cape Peninsula University of Technology. « C’est un professeur de mon ancienne université qui m’a conseillé de présenter ma candidature en master de biologie marine à l’UCT, raconte Henry Abi, un doctorant camerounais. Quand j’ai été accepté ici, je n’ai pas hésité longtemps ! »

Un enseignement participatif

Comment expliquer cette attractivité ? « Notre rang dans les classements internationaux joue un rôle, c’est indéniable. Mais la qualité de vie à l’UCT, avec son climat méditerranéen et son campus agréable, explique aussi notre popularité », estime Francis Peterson. La qualité des enseignants est une autre clé de ce succès. « Ils doivent être connus à l’international et à la pointe de leur secteur, de façon à dispenser un savoir le plus actuel possible », indique le professeur.

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Enfin, le mode d’enseignement participatif semble fairel’unanimité : « À l’UCT, il n’y a pas la même barrière hiérarchique entre un élève et son professeur qu’en RD Congo ou même ailleurs en Afrique du Sud. Ici, l’enseignant est disponible, ouvert à nos idées ; on a le droit à l’erreur et cela stimule notre créativité », explique Olivier Oleila, originaire de Kinshasa et doctorant en mathématiques. « On a été très compréhensif avec mon “anglais du village” », complète, reconnaissant, Josué Bosange, un Congolais étudiant la littérature.

En 2009, les revenus de l’UCT, université publique, se sont élevés à 1,6 milliard de rands (environ 150 millions d’euros), avec un petit bénéfice de 24 millions de rands. Ses sources de financement proviennent principalement des subventions de l’État (776 millions de rands) et des frais de scolarité (577 millions) : un élève déboursera entre 2 000 et 3 000 euros en frais d’inscription pour une année en bachelor, et entre 3 400 et 3 900 euros pour un master.

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Le réseau d’anciens constitue une autre ressource financière, en particulier pour l’acquisition d’équipements onéreux à destination des filières scientifiques : « Les laboratoires sont très bien équipés et accessibles. Quand on travaille comme moi sur des sujets pointus comme l’électronique de puissance, c’est un point essentiel », se réjouit Emma Isumbingabo, doctorante rwandaise.

Implication des entreprises

Les entreprises aussi ont voix au chapitre, comme l’explique le professeur Peterson : « À la faculté d’ingénierie, nous avons un conseil consultatif pour chacun des grands domaines vers lesquels nos étudiants se dirigent : les mines, la chimie et la construction. Constitués de professionnels reconnus, souvent d’anciens élèves, ils nous tiennent informés des dernières évolutions de leur secteur et nous permettent de mieux concevoir nos programmes. »

Reste que l’université doit réussir à mieux refléter la diversité de la population sud-africaine, et donc accroître le nombre de ses étudiants noirs. « Nous avons mis en place une sélection qui combine un examen d’entrée exigeant avec des quotas que nous faisons évoluer : en 2010, 37 % de Noirs, 33 % de Blancs, 11 % de métis, 10 % d’Indiens et 9 % d’internationaux », explique Francis Peterson, qui reconnaît que ce système similaire à l’« affirmative action » – la discrimination positive – est imparfait, mais reste la meilleure manière de progresser.

Second défi à relever : se tourner davantage vers l’Afrique. Depuis 1996, l’UCT a lancé, avec sept universités partenaires de six pays anglophones (Kenya, Ouganda, Botswana, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe), le programme Ushepia (University, Science, Humanities and Engineering Partnerships in Africa). Financé par la Fondation Rockefeller et la Fondation Carnegie, il s’agit d’un parcours de formation en alternance de deux ans, à l’UCT puis dans une autre université partenaire. « Ce programme forme l’étudiant sélectionné, qui travaille sur un sujet jugé prioritaire pour le continent, mais aussi ses deux superviseurs qui l’accompagnent et apprennent chacun dans les universités où ils se rendent », détaille le professeur Peterson. Les bénéficiaires du programme (à ce jour, 47 étudiants de master) s’engagent à retourner dans leur pays après leur formation.

Année après année, le nombre d’étudiants étrangers africains monte dans les statistiques. Pour l’heure, les Zimbabwéens arrivent en tête (1 014), suivis des Botswanais (238), mais il y a aussi quelques francophones, les plus nombreux sont issus de la RD Congo (59), du Rwanda (48) et du Cameroun (42). Pour faire décoller ces chiffres, l’UCT se dit ouverte à des partenariats avec les universités francophones qui pourraient être attirées par son prestige.

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