Tunisie : Tuninvest tous azimuts
Présent lors du forum Euromed Capital à Tunis, Aziz Mebarek fait le point sur la stratégie de son groupe Africinvest Tuninvest, la société de gestion panafricaine. Algérie, Afrique subsaharienne et levées de fonds étaient au menu des discussions.
Aziz Mebarek a cofondé le groupe Africinvest Tuninvest en 1994 avec trois associés Ahmed Abdelkefi, Ziad Oueslati et Karim Trad. La société gère trois familles de fonds : des fonds pays en Tunisie et au Maroc qui se concentrent essentiellement sur l’amorçage et les entreprises de petites taille. Au Maroc, il s’agit du fonds PME Croissance dans lequel le premier souscripteur est l’État marocain. En Tunisie le capital-investisseur vient de lever un fonds qui s’appelle Tuninvest Croissance. La deuxième famille de fonds est constituée des fonds Maghreb, à portée régionale et couvrant l’ensemble des pays du Maghreb. Le dernier en date est Maghreb fund III. Enfin, la société gère des fonds spécialisés sur l’Afrique subsaharienne, les fonds Africinvest.
Jeune Afrique : Quelles sont vos opérations en cours ? Avez-vous des actualités à annoncer ?
Aziz Mebarek : Je ne peux pas en dire plus pour le moment, mais nous venons de conclure une importante opération en Tunisie qui porte sur un montant de quelque 10 millions d’euros dans une société familiale privée. Nous continuons aussi à avancer sur des opérations en Afrique subsaharienne avec le fonds Africinvest II. Trois investissements sont en préparation. Comme vous le savez, nous gérons trois familles de fonds et nous démarrons actuellement la levée du fonds AfricInvest III avec un objectif de 200 millions d’euros. Mais attention, entre les intentions et la réalité, le gap peut être significatif !
Nous nous intéressons également au secteur de la microfinance et à la finance inclusive, qui constitue un sujet de première importance dans l’ensemble des pays du continent. Nous avons une relation exemplaire avec Microcred (groupe planet finance) à Madagascar et prochainement dans plusieurs pays en Afrique de l’Ouest et en Afrique Australe. Nous avons aussi conclu un partenariat stratégique avec Desjardins, un institutionnel canadien. Avec eux, nous sommes leaders en Zambie, dans le secteur de la microfinance. Nous avons tout juste créé coup sur coup deux institutions en Tanzanie et en Ouganda et nous sommes sur le point de faire une demande d’agrément ici en Tunisie. Nous avons travaillé en amont avec les pouvoirs publics et avons contribué dans un cadre associatif à constituer un groupe de travail avec le ministère des Finances pour que le dispositif juridique se mette en place. L’Algérie et la Libye font aussi partie de nos pays cibles quand l’environnement juridique le permettra.
La crise a-t-elle entamé votre capacité à lever des fonds ?
Aujourd’hui, on arrive à intéresser des institutionnels pour lesquels l’Afrique était auparavant hors-zone.
C’est toujours un problème même si aujourd’hui, on arrive à intéresser des institutionnels pour lesquels l’Afrique était auparavant hors-zone. Mais entre l’intérêt d’une discussion de salon et un chèque, il se passe du temps et des choses. Pour l’instant je ne peux pas dire qu’il y a un engouement pour investir, mais les investisseurs sont en train de consacrer du temps et de l’argent pour en savoir plus.
Autre signe positif, des instituts comme Cambridge Associates commencent à faire des études et à alimenter les grands institutionnels avec des études fondamentales sur les montants, sur les secteurs, sur les acquis… Nous recevons régulièrement des appels de ces structures qui sont en train de peaufiner leur compréhension du capital-investissement africain. C’est une marque d’intérêt certain. Je suis raisonnablement confiant sur les perspectives d’évolution de nos activités dans le continent!
Avec AfricInvest, vous êtes l’un des pionniers du capital-investissement panafricain. Observez-vous une volonté d’expansion subsaharienne de la part des fonds nord-africains ?
Nous avons fait ce mouvement il y a dix ans et nous avons vécu une évolution significative de la profession au cours de cette décennie. La première édition de l’Africa Venture Association (AVCA dont nous sommes co-fondateurs), qui s’est tenue à Tunis en 2000 a essentiellement réuni des opérateurs Anglophones d’Afrique du Sud. Aujourd’hui la quasi-totalité des pays du continent sont couverts par des équipes locales, régionales ou continentales. De notre côté, nous avons maintenant plusieurs hubs en Afrique subsaharienne. Une partie de nos équipes est basée à Abidjan et couvre toute l’Afrique francophone. Une importante équipe basée à Lagos s’occupe de couvrir l’Afrique de l’Ouest anglophone tandis qu’une implantation à Nairobi couvre la partie orientale du continent, notamment le Kenya, la Tanzanie, l’Ouganda, le Sud-Soudan, la Zambie et le Zimbabwe. Les fonds panafricains comme Abraaj font ce mouvement aussi, mais à ma connaissance pas encore d’autres fonds nord-africains.
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Certains de ces pays sont réputés difficiles. Est-il possible de faire des affaires au Sud Soudan et au Zimbabwe en tant que capital-investisseur ?
On a fait une opération indirecte au Sud-Soudan à travers UAP [un assureur kenyan, ndlr] leader au Sud-Soudan. Nous sommes pragmatiques, nous observons. Nous avons été au Sud-Soudan il y a quatre ans et on a été les premiers à obtenir une licence bancaire non islamique dans le pays avec un groupe tanzanien qui s’appelle Exim Bank. Finalement nous n’avons pas donné suite car la Banque centrale n’a pas su éclaircir certains points clés pour notre implantation. Nous allons aussi réaliser notre première transaction au Zimbabwe pour entrer dans une banque locale, avec Norfund et le FMO [deux bailleurs de fonds norvégien et hollandais, ndlr]. Nous venons d’obtenir l’accord de la Banque centrale.
Autre pays réputé difficile dans lequel vous êtes pourtant parvenu à mener plusieurs opérations avec succès, l’Algérie. Quelles sont vos recettes sur ce marché ?
L’Algérie est un continent par sa taille, de même que le Nigeria. Il faut préciser que nous ne sommes pas les seuls actifs dans le pays, mais nous avons le bénéfice de l’antériorité et de la présence dans ce pays proche depuis la période tragique par laquelle est passée l’Algérie. Et puis nous avons pour stratégie d’être locaux là où nous intervenons. Nous avons notamment une très bonne compréhension de ce qui se passe et de très bonnes relations avec l’ensemble des stakeholders [parties prenantes, ndlr], notamment l’administration. Dès qu’on intervient dans un secteur réglementé, c’est clé, car on ne peut pas aller à contre sens de la volonté du gouvernement. Je pense qu’on a plutôt réussi cet exercice.
Vous comparez l’Algérie au Nigeria. Pourtant, ni la population ni les taux de croissance ne sont comparables. Que voulez-vous dire par là ?
Je compare l’Algérie au Nigeria parce que c’est un pays en forte croissance et je suis assez optimiste sur l’évolution de ses fondamentaux économiques. Aujourd’hui nous voyons l’émergence de chefs d’entreprise de qualité avec un secteur privé en train de se structurer. C’est aussi un pays où l’on constate qu’une croissance naturelle s’est enclenchée. Une PME qui s’implante avec un bon management et une structuration financière appropriée avec de bons fondamentaux est une PME qui peut faire de la croissance sur le marché algérien. Le problème qui se pose à nous en Algérie est plutôt inverse : dans certains cas, le marché progresse plus rapidement que ce qu’on peut faire nous-mêmes ! C’est un défi d’une autre nature. Dans d’autres environnements on a l’outil industriel et on cherche à faire tourner nos machines…
Quand on est intervenu en Algérie, les gens disaient qu’introduire des société en Bourse en Algérie n’était pas possible.
Mais l’environnement réglementaire est tout de même réputé hostile…
Je ne dirais pas cela. La pédagogie fait partie de notre travail : on essaie d’expliquer ce que nous faisons car on ne peut pas travailler dans un environnement où nos vis-à-vis n’ont pas une bonne compréhension de notre métier, et ceci n’est pas spécifique à l’Algérie ou au Nigéria, c’est le cas dans l’ensemble des pays du continent. Nos interlocuteurs font souvent la confusion entre crédit bancaire et intervention en fonds propres à travers un fonds de private equity… Or si les personnes avec qui vous interagissez ne comprennent pas ce que vous faites, ou n’en voient pas l’intérêt, ça ne peut jamais marcher. Mais j’ai le sentiment que nous sommes sur la bonne voie. Je me souviens, dans nos premières discussions quand on est intervenu en Algérie, certaines institutions internationales disaient qu’introduire des PMEs sur la Bourse d’Alger n’était pas possible. Je leur répondais que c’était notre rôle de contribuer à ce que cela devienne possible. Je ne dis pas que c’est facile, ça n’est jamais facile ! Mais voyez, aujourd’hui, NCA Rouiba est la première PME privée qui s’introduit avec succès sur le marché algérien, et j’espère que plusieurs autres sociétés suivront ses traces.
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Propos recueillis par Nicolas Teisserenc, envoyé spécial à Tunis
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