Bangladesh : le « banquier des pauvres » viré !

Pionnier de la microfinance et Prix Nobel de la paix, Muhammad Yunus a été licencié par le gouvernement de son poste de directeur administratif de la Grameen Bank (dont l’État détient 25 % du capital).

Muhammad Yunus arrive devant la Haute Cour du Bangladesh, le 7 mars Dacca. © Palash Khan/Sipa Press

Muhammad Yunus arrive devant la Haute Cour du Bangladesh, le 7 mars Dacca. © Palash Khan/Sipa Press

Publié le 21 mars 2011 Lecture : 3 minutes.

La salle d’audience de la Haute Cour du Bangladesh était pleine à craquer, ce 7 mars, lorsque le juge y a fait son entrée solennelle. Chargé de dire la légalité de la procédure de licenciement visant Muhammad Yunus, le patron de la Grameen Bank, le magistrat a demandé au public de se taire, avant de lire le verdict d’une voix monocorde : « Le maintien du professeur Yunus dans ses fonctions n’est pas fondé en droit. Sa pétition demandant l’annulation de la décision de la Banque centrale du Bangladesh est donc rejetée… » La suite a été couverte par les cris d’indignation des supporteurs du « banquier des pauvres ».

Au Bangladesh, tout le monde connaît Muhammad Yunus. Économiste de formation et ancien professeur à l’université de Chittagong, ce fils de bijoutier a fondé en 1977 le premier organisme de microcrédit, invention appelée à révolutionner le système bancaire mondial. Traditionnellement, les plus démunis n’avaient pas accès au crédit, les banques craignant qu’ils ne soient pas en mesure de rembourser les prêts consentis. Du coup, ils étaient à la merci des usuriers…

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Huit millions d’emprunteurs

La Grameen Bank (qui, en bengali, signifie la « banque rurale ») a mis fin à cette injustice en consentant des prêts aux plus pauvres, notamment dans les régions les plus reculées. Forte de ses quelque 250 agences à travers le pays, elle revendique aujourd’hui 8,3 millions d’emprunteurs, parmi lesquels une écrasante majorité de femmes (97 %), qui utilisent cet argent pour développer une activité rémunératrice.

Le succès a été tel que la Grameen Bank a bientôt essaimé à l’étranger, notamment dans les pays occidentaux confrontés à des problèmes grandissants de chômage et de pauvreté. En 2006, son fondateur s’est vu décerner le prix Nobel de la paix.

Ce qui, dans son pays, ne lui a pas valu que des amis en haut lieu. Sa renommée internationale suscite des jalousies. On lui reproche sa suffisance supposée, ses accointances avec les grands de ce monde, les Clinton, Obama, Sarkozy… Mais les hostilités n’ont réellement commencé qu’en 2007, quand Yunus a voulu profiter de sa bonne image dans l’opinion pour créer un parti politique. Le projet a fait long feu, mais le mal était fait. Les ennuis allaient commencer.

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Limite d’âge

Il y a d’abord eu un procès en diffamation : le Prix Nobel avait dénoncé un peu trop brutalement l’appétit excessif pour le pouvoir et l’argent manifesté par les hommes et les femmes politiques de son pays. Et puis, au mois de janvier, après la diffusion d’un documentaire norvégien mettant en cause l’opacité de la gestion de la Grameen Bank, une enquête a été ouverte. Depuis, les Norvégiens sont revenus sur leurs allégations, mais le gouvernement bangladais persiste. Profitant des dérives de certaines branches de l’établissement, la Première ministre, Sheikh Hasina, est allée jusqu’à accuser publiquement Yunus de « sucer le sang des pauvres ».

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Troisième vague de l’offensive, Yunus vient donc d’être limogé de son poste de directeur exécutif de la Grameen Bank – dont l’État bangladais détient 25 % du capital. La Banque centrale fait valoir qu’à 70 ans l’intéressé a largement dépassé la limite d’âge imposée aux fonctionnaires (60 ans). Soutenu par ses employés, ses clients, mais aussi par ses (nombreux) admirateurs à l’étranger, Muhammad Yunus avait contesté la validité juridique de cette décision. La Haute Cour vient de lui donner tort. « Nous nous attendions à ce verdict », ont commenté les avocats de la Grameen Bank, qui envisagent à présent de saisir la Cour suprême.

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